2008 fut, pour le rap, une année en trompe-l'œil. Impacté par la crise du disque, il y semblait en décrue. Quelques-uns des meilleurs albums sortis par des rappeurs, d'ailleurs, n'étaient même plus des disques de rap, comme dans le cas du dernier Kanye West, ou dans celui, nettement moins grand public, de Why?. Les nouveaux-venus de l'époque, comme Kid Cudi, s'engageaient eux aussi sur d'autres territoires que celui du hip-hop. Seul Lil Wayne, alors au sommet de sa gloire, tirait encore son épingle du jeu avec Tha Carter III, qui aura été l'album de rap le plus attendu de l'année. Et s'il était au centre de toutes les attentions, c'est que le rappeur de La Nouvelle Orléans avait placé la barre très haut sur ses mixtapes des années antérieures.
Car c'était en fait sur ce circuit, celui des mixtapes, que le rap continuait à vivre, qu'il se régénérait, qu'il se réinventait au contact de ses fans les plus acharnés. Et quand Kanye West égarait son monde avec l'incompris 808s & Heartbreak, contrairement à toutes les apparences, il ne sortait pas du rap, il ne confirmait pas sa mort. Bien au contraire, avec son spleen chanté sous Auto-Tune, il lui ouvrait de nouvelles voies, que d'autres ne cesseraient d'explorer tout au long de la décennie suivante. Car c'est en 2008, en fait, qu'ont commencé les années 2010.
# 12. SADISTIK - The Balancing Act
Sadistik vient de Seattle, un endroit gris, dominé par une population blanche et connu pour ses rockeurs autodestructeurs. Avec son premier album, il nous livrait donc un rap dans les mêmes tons, où la dépression s'habillait de sonorités soit lugubres, soit élégiaques. Tenant d'une tradition de rappeurs Blancs underground inaugurée par Slug et Eyedea, il en livrait l'un des artéfacts les plus convaincants.
# 11. JME - Famous?
Après plusieurs mixtapes et quelques morceaux comme "Serious" ou "Standard" ayant acquis le statut de classiques grime, Jamie Adenuga, le petit frère de Skepta, sortait en 2008 son premier album, pour l'essentiel une compilation de ses meilleurs titres, et un disque où, au milieu de nombreux égo-trips, JME partageait, avec sérieux ou avec humour, ses réflexions sur le succès et sur la célébrité.
# 10. WEBBIE - Savage Life 2
Webbie n'a pas le charisme de Boosie. Il n'a pas cette voix aigre et ce rap sorti des tripes, qui a fait de son compère l'un des grands rappeurs du Sud. Mais comme chez lui, on retrouvait cette tension entre extase et angoisse, ainsi que les sons dansants et immersifs de Mouse on tha Track. Il y avait tout ce qu'il fallait sur son second album, Savage Life 2, pour en faire un classique du rap de Baton Rouge.
# 09. GUCCI MANE - The Movie
En 2008, alors que sa production de projets gratuits atteignait sa vitesse de croisière, Gucci Mane montait en puissance en s'offrant l'appui de DJ Drama. Organisée vaguement autour des thèmes de la célébrité et du cinéma, livrant un ordinaire fait de sexe, de drogue et d'envies de richesse, avec toujours l'irrésistible sens de l'absurde du rappeur, The Movie fut une autre de ses grandes mixtapes.
# 08. FACTOR - Chandelier
Après ses très bons albums avec Nolto et Awol One, Factor confirmait qu'il était en forme. Ce projet était, comme les précédents, une compilation de collaborations avec des rappeurs issus de tous horizons, mêlée de quelques titres instrumentaux. Mais il était le plus abouti de tous, le producteur de Saskatoon sachant tout autant se conformer au registre de chaque rappeur, qu'y affirmer sa science du sample.
# 07. LIL WAYNE - Tha Carter III
Les années 2010 ont commencé en fait en 2008, avec Tha Carter III. Cet album, tant attendu, tant médiatisé, n'a peut-être pas été le meilleur d'un Weezy alors au sommet de sa gloire. Mais il a été son plus visionnaire. Il a fait connaître au grand public l'esthétique des mixtapes. Il a repoussé toujours plus loin les frontières du rap. Il a ouvert l'ère de l'absurdité et de la folie créatrice dans le rap mainstream.
# 06. JAKE ONE - White Van Music
Au cours de sa carrière, Jake One a collaboré avec tout le monde, grandes stars du rap comme la G-Unit, et icônes underground comme MF Doom. Il était donc logique que son premier album, invitant des rappeurs de toutes notoriétés, soit une traduction de cet éclectisme. Il était uni malgré tout par le son du producteur de Seattle, de premier choix, et fermement ancré dans le meilleur des années 90.
# 05. KILLER MIKE - I Pledge Allegiance to the Grind II
Killer Mike s'est d'abord distingué auprès d'Outkast, autour de l'an 2000. Et dans les années 2010, sa cote critique est montée quand il s'est acoquiné avec El-P. Mais le grand moment du rappeur d'Atlanta, c'était pile entre ces deux périodes, quand il se livrait seul ou presque à ses diatribes politiques, sans rien renier de son origine sudiste, quand il était la fusion parfaite entre Ice Cube et Young Jeezy.
# 04. THE HERD - Summerland
Avec Summerland, les Australiens de The Herd livraient leur album le plus abouti et le plus accessible à ce jour. Généralement taillé pour la scène, leur rap emblématique de toute la scène qui s'agitait autour du label Elefant Traks, très engagée et marqué à gauche, adepte de chants et de "vrais" instruments, et aux sonorités tantôt reggae, tantôt gitanes, passait avec succès l'épreuve du disque.
# 03. ABN - It Is What It Is
Les discographies solo des rappeurs texans Z-Ro et de Trae sont riches et recommandées. Mais c'est sans doute en duo que les Assholes by Nature ont sorti leur meilleur album, It Is What It Is, le temps de titres insolents et gangsta, mais aussi chaleureux, mélodiques, imprégnés, avec les voix graves et chaudes des deux cousins, d'une saveur soul rénovée, actualisée et typiquement texane.
# 02. KANYE WEST - 808s & Heartbreak
La douleur est le carburant de la créativité. Cette triste réalité a été démontrée une fois encore, avec 808s & Heartbreak, un album où planait l'ombre de la mère de Kanye, décédée tout récemment. Changeant totalement de direction, passant au chant, à l'Auto-Tune et à une électro déprimée qui rappelait les années 80, Kanye West inventait sur ce disque mal aimé le rap de la prochaine décennie.
# 01. ALL STAR - Starlito's Way 2
Le deuxième volet de Starlito's Way, c'est le tournant de la carrière de Jermaine Shute. C'est celui où All Star, la star du rap en devenir dont il est question sur la première partie, se transforme en Starlito, l'homme déprimé et introspectif qu'il est sur la seconde. C'est le moment où il devient le rappeur respecté des années 2010. Et c'est aussi, sans doute, son oeuvre la plus importante et la plus décisive.
MENTION SPECIALE
L'un des meilleurs albums à venir du rap en 2008 n'a pas été, en fait, un album rap. La musique de Why?, en effet, ressemble bien davantage à l'indie rock bancal de Pavement et de Silver Jews. Sans le passé hip-hop du chanteur Yoni Wolf, cependant, sans son aisance verbale, sans son passé de freestlyler et de storyteller, cet excellent disque rock qu'est Alopecia n'aurait sans doute pas existé.
AUTRES SORTIES NOTABLES
Ils ont été découverts au hasard, ils nous ont adressés leurs albums promos, ou bien ils ont été tellement vantés par d'autres, amis ou médias, qu'il nous a fallu les écouter. Ils proviennent d'horizons différents, ils sont issus d'écoles de rap sans grand rapport les unes aves les autres. Tous, cependant, ont sorti en 2008 des projets qui, pour des raisons diverses et variées, méritaient d'être mentionnés ici.
BORED STIFF - Explainin' / Timeless
S'ils n'ont pas conquis durablement le grand public, la Freestyle Fellowship, les Hieroglyphics, la Hobo Junction, The Nonce et les Living Legends se sont tout de même imposés comme des références, et sont révérés comme les fondateurs du sémillant West Coast Underground. Mais pas Bored Stiff, jusqu'à ce que cette compilation rappelle, en 2008, qu'eux aussi méritaient de rejoindre ce panthéon.
DJ Baku était fan de rap américain. Voulant se faire connaître à l'étranger, il savait cependant que le public lui demanderait autre chose que d'enchaîner des titres de Nas, comme tout le monde. Aussi, sur des albums comme Dharma Dance, le Japonais créa-t-il sa formule rien qu'à lui, faite de rock psychédélique, de frénésie punk et de mélodies orientales, le tout cuisiné selon les recettes du hip-hop.
EPIC - Aging Is What Friends Do Together
En 2008, Epic avait changé de label, mais son rap était inchangé. Faussement naïf, porté sur l'auto-dérision, adepte d'un humour décalé, il demeurait fidèle à lui-même. Seule l'accumulation de producteurs, au détriment de l'habituelle contribution de soso (les deux compères étant en froid), empêchait ce troisième album de l'atypique rappeur canadien d'être tout à fait l'égal des précédents.
G-SIDE - Starshipz and Rocketz
En 2008, l'attention s'est portée sur la scène rap de la modeste ville de Huntsville, Alabama, et plus particulièrement sur le duo G-Side. C'est avec ce second album que ST 2 Lettaz et Yung Clova faisaient connaître leur formule à eux, faite d'un gangsta rap profil bas, ancré dans le réalisme social, et des sons atmosphériques conçus par les Block Beattaz, évocateurs de la vocation spatiale de leur localité.
En 2008, Gorilla Zoe, a été l'un des premiers Freshmen de XXL. Il aura aussi été, malheureusement, un pétard mouillé. La doublure de Jeezy au sein de Boyz N Da Hood n'ira pas beaucoup plus loin que deux ou trois années de notoriété. Ne restent d'elles qu'une poignée d'albums inégaux, et de nombreuses mixtapes, dont Monkey Business est sans doute la plus solide, dans son registre trap bubblegum.
JEAN GRAE & 9TH WONDER - Jeanius
Jeanius n'est pas nécessairement le meilleur album de Jean Grae. Produit par 9th Wonder, il n'évite pas la monotonie caractéristique de cette école underground, la leur, éprise de classicisme rap. Cependant, parce qu'elle convainc autant quand elle se lance dans l'égo-trip, que quand elle joue de l'intime, la rappeuse a fourni, avec ce projet qui mit quatre ans à voir le jour, l'œuvre qui la définit le mieux.
ShapeShifters, c'est l'album de la rappeuse underground ultime, avec son aisance verbale, son boom bap chiadé, et son engagement politique argumenté et marqué à gauche. Mais il est aussi, et surtout, le premier projet long-format d'Invincible, après dix années d'activisme soutenu dans le hip-hop et ailleurs. En toute logique, elle y a mis tout le soin et les formes nécessaires pour en faire un disque abouti.
Il y a de bonnes raisons d'aimer Kid Cudi : son ouverture d'esprit, son talent pour les confessions poignantes. En corolaire, il y a aussi des raisons de le détester : un éclectisme qui a contribué à changer pour de bon le rap en nouvelle variété internationale. Mais il ne sert à rien de nier l'influence de sa mixtape manifeste sur l'émergence de cette sad robot music qui sera le cœur du rap des années 2010.
KILLER MIKE - Sunday Morning Massacres
C'est en 2014, fort de la notoriété nouvelle apportée par son association avec El-P, que Killer Mike allait sortir sur format mixtape cette suite de freestyles enregistrés en 2008, une suite de commentaires politiques furieux, tournant tous autour d'une thématique biblique. Elle rappellerait alors qu'en ces années-là, bien avant le consécration critique de Run the Jewels, Killer Mike était déjà grand et puissant.
LEXINGTON + WHATEVSKI - Customer Appreciation Day
D'un goût particulier, la pochette de cette sortie gratuite ne ment pas : Lexington et Whatevski ne sont pas recommandés à votre grand-mère. Au programme, ces deux lascars venus du froid nous offrent obscénités, violence et humour potache. Mais le tout est déclamé avec assez de verve, d'énergie et de cynisme pour que l'on goûte plusieurs passages de cette compilation de raretés et de faces B.
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Datant de sa période de sa période la plus faste, la mal-nommée Da Beginning se distingue des autres projets remarquables sortis ces années-là par Lil Boosie. Du fait de la production de BJ, cette mixtape a un aspect plus organique et plus poisseux que les autres, elle est moins frénétique, mettant encore plus en valeur ce que délivrait alors le rappeur de Baton Rouge : un blues pour le nouveau siècle.
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LIL MAMA - VYP Voice of the Young People
L'album de Lil Mama ne capitalisa pas tout à fait sur le succès de son tube de 2007, "Lip Gloss", et sa carrière musicale fut ensuite erratique. Oscillant entre titres enjoués, passages fleur bleue, et un zeste de conscience sociale venue du passé difficile de la rappeuse, ce projet était pourtant tout à fait défendable, dans la catégorie qui est la sienne : la musique grand public, la variété rap, la hip-pop.
LYRICS BORN - Everywhere at Once
N'allons pas refaire le procès de Quannum. N'allons pas regretter une fois encore que les rappeurs les plus créatifs et les plus innovants de la Côte Ouest se soient mis sur le tard à un funk rap fadasse destiné à un public adulte et établi. Car, dans sa catégorie, et une fois expurgé de la moitié de ses titres, cet Everywhere at Once sorti par Lyrics Born valait encore largement le premier Gnarls Barkley venu.
ANDRE NICKATINA & MAC DRE - A Tale of Two Andres
En 2004, les deux Andre les plus emblématiques du rap de la Bay Area avaient décidé d'enregistrer un album en commun. Malheureusement, Mac Dre fut tué cette année-là. Il revint donc à l'autre Andre, Nickatina, de se lancer post-mortem dans une sorte de compilation. Et elle fut suffisamment réussie pour retranscrire à la perfection le son et l'atmosphère de cette scène aussi fertile que mésestimée.
NIPSEY HUSSLE - Bullets Ain't Got No Names Vol. 2
Si Nipsey Hussle a gagné sa place dans l'aristocratie rap de Los Angeles des années 2010, c'est grâce à ses mixtapes. Il n'a d'ailleurs sorti quasiment que cela, a commencer par la trilogie qui l'a fait connaître en 2008 et 2009, celle des Bullets Ain't Got No Names, dont le second volet nous offrait le meilleur d'un gangsta rap héritier des plus grandes heures de la West Coast, mais rénové et réactualisé.
"Indie rap not dead", semblait nous dire le toujours fantasque Noah23 avec cet album, en fait une longue compilation riche et fournie de collaborations avec tout ce que la scène hip-hop indépendante du début de la décennie comptait de survivants, venus des Etats-Unis, du Canada et de France. A en juger par la créativité de l'ensemble, nous serions presque convaincus de lui donner raison.
Issu comme eux du New Jersey, Oddateee est un protégé de Dälek, et cela s'entend. Comme eux, ce rappeur là cultive une prédilection pour l'engagement politique et pour des sons opressants d'inspiration rock. Mais il est aussi un peu plus académique, et plus bavard. Il est également plus varié, reposant moins que ses parrains sur une formule pré-établie, sur cet album inégal mais plutôt réussi.
OJ DA JUICEMAN - Culinary Art School
La fin 2008, à Atlanta, a appartenu à OJ Da Juiceman. Pendant que Gucci Mane était emprisonné, Otis Williams Jr comblait le manque par une série de mixtapes dont celle-ci, rythmée comme toujours par ses onomatopées, ses synthés tourbillonants et son thème unique (la drogue), et conçue avec le parrainage double de DJ Drama et de DJ Holiday, allait être l'une de ses sorties de référence.
Moins d'un an après The Real Testament, Plies rempilait avec Definition of Real. Il allait au-devant de son succès, sacrifiant davantage au rite du morceau doucereux imbibé de R&B. Mais pour l'essentiel, c'était le même rappeur que celui qu'on aimait (et que beaucoup d'autres détestaient), la même brute épaisse aux talents "lyricaux" rudimentaires, mais aux râles douloureux, et singulièrement expressifs.
Trois années après Phobos Deimos, les Canadiens de Red Ant peaufinaient leur rap politique, industriel et paranoïaque avec un second album, Omega Point. Ici, ça tapait toujours aussi fort. Mais la musique de Modulok et de Vincent Price s'accompagnait aussi d'une dimension atmosphérique, sourde et menaçante qui enrichissait la formule, qui la rendait plus oppressante encore, et plus aboutie.
RICH BOY - Bigger Than the Mayor
En bonne mixtape, Bigger Than the Mayor était censée nous mettre en appétit. Après un premier album porté par le succès du single "Throw Some D's", Rich Boy préparait le terrain pour le suivant. Celui-ci, intitulé Break the Pot n'apparaitrait pourtant que bien plus tard, en 2013. Mais qu'importe, ce projet annexe, édité depuis en CD, étant peut-être le véritable incontournable du rappeur de l'Alabama.
On pensait, dans le milieu de l'indie rap de Blancs, que cette bonne vieille tradition qui consistait à mélanger rap et rock n'aboutissait plus qu'à un folk hop timide et introverti. Mais Barfly et ses deux compères des Saturday Knights avaient choisi de naviguer à contre-courant, renouant avec le hip-hop irrévérencieux, facétieux et plein de grosses guitares des Beastie Boys et des Run-D.M.C vingt ans plus tôt.
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