A l'origine, à l'époque de compilations très perfectibles comme Time Invested, le beatmaker Factor ne semblait être qu'un second couteau du riche underground rap canadien. Certes, on lui a reconnu assez vite un joli carnet d'adresses, avec ses collaborateurs issus de l'indé californien. Mais ces boucles toutes bêtes qui caractérisaient son style de production, construites de manière stéréotypée avec des samples de voix, de guitare ou de piano, respiraient par trop souvent la facilité, elles semblaient parfois paresseuses et inoffensives.
Et puis, petit à petit, Factor s'est imposé. A force de persévérance, il a proposé de très bons disques. En 2005, l'album concept Red All Over, avec Nolto, un rappeur issu comme lui de Saskatoon, a été une première réussite. En 2007, il a offert à Awol One un très solide Only Death Can Kill You, peut-être pas l'album le plus emblématique du Shape Shifter, mais probablement son plus abouti. Et puis, en 2008, après des disques sous son nom sans cesse plus convaincants, il a sorti Chandelier, à la fois chez Fake Four, et chez les Japonais de Hue Records, un album qu'il faut sans doute considérer comme le sommet de sa discographie prolifique.
Ce sixième album démontre une fois encore l'étendue du réseau développé au fil des ans par le Canadien. Il se place au centre de la scène indé, en invitant à s'exprimer sur ses beats non seulement des rappeurs issus de son label (Cam the Wizard) ou d'ailleurs à Saskatoon (Epic), mais aussi d'autres figures canadiennes (Moka Only, Noah23, Josh Martinez) et américaines (Ceschi), ses collaborateurs californiens (Myka 9, Awol One, Kirby Dominant), voire belge (Nomad), et même un gros poisson du rap, Sadat X de Brand Nubian.
Avec sa cohorte d'invités, Chandelier est une compilation de producteur, plutôt qu'un vrai album, un disque sans grande cohérence qui, même sur les titres dénués de rappeur, passe sans crier gare d'un trip-hop classieux ("One Record", "I Tried To Tell You") aux expérimentations de "Had It Made", puis au finale tout en mélancolie de "Last Nights Dream".
Chaque rappeur colore l'album de sa touche propre, du rap d'homme-enfant de Nomad, aux chantonnements de Josh Martinez, puis aux sons rock qui accompagnent le "Electric Funs Of A Linx" de l'halluciné Noah23 et au guitar rap de Ceschi, en passant par le soul rap très new-yorkais offert à Sadat X, un "Good Old Smokey" rappé par Myka 9 dans l'esprit de ses Citrus Sessions, l'introspection de Cam the Wizard sur "21 Chump Street" et par les leçons de vie d'Awol One sur le magnifique "More Rude Than Handsome".
C'est le grand mérite du producteur canadien, que de savoir façonner à tous ces gens l'écrin de circonstance. En bon beatmaker, Factor épouse le registre de chacun de ses invités, il le magnifie avec adresse, sur l'ensemble de ce mémorable Chandelier, sans pour autant jamais cesser d'être lui-même.
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