Hormis peut-être dans cette version très grand public défendue par Macklemore, ce n'est pas la plus visible de toutes. Et pourtant, c'est bien toute une école de rap que Slug a fondé à la fin des années 90, avec son groupe Atmosphere. Après lui, le rap d'écorché vif, les confessions, les paroles introspectives et l'exhibition de son mal-être sont devenus presque synonymes de rap de Blanc underground. Et tant pis si Slug n'est en fait pas 100% blanc, et qu'il est bien plus qu'un simple rappeur "émo". Avec lui, une tradition est née, il a eu plusieurs héritiers, tel que son protégé Eyedea, ou celui qui aura côtoyé ce dernier dans son ultime tournée : Sadistik.

SADISTIK - The Balancing Act

Cody Foster, de son vrai nom, a le bon profil. Il vient des alentours de Seattle, et avec le temps, se laissant pousser les cheveux, il adoptera une dégaine qui tient plus d'un chanteur de grunge que d'un rappeur. C'est un garçon instruit, qui a étudié la psychologie et la sociologie, et dont les raps contiennent des références savantes. Et comme les deux autres cités plus haut, il n'est pas ridicule au micro, jouant avec adresse des assonances, d'un vocabulaire large et d'une pluralité de flows. C'est d'ailleurs sur un label spécialisé dans ce registre, le Fake Four de Ceschi Ramos, que Sadistik s'est fait connaitre en 2013, avec l'album Flowers For My Father.

Comme toujours, cependant, pour prendre toute la mesure d'un rappeur, pour le retrouver à l'état pur, il faut remonter plus loin, aux origines. Il faut en revenir au premier album.

Ce qui marque d'emblée, sur The Balancing Act, c'est sa production inhabituelle. Conçus par Emancipator (un beatmaker issu des musiques électroniques) et Kid Called Computer, les sons s'aventurent en terres trip hop et post rock : composés de synthétiseurs, de cordes et de guitares, avec parfois un soupçon de scratches signés par B-Roc, HMD et le Berlinois DJ Scientist (et même un magnifique accordéon sur "November"), ils sont tantôt lugubres, tantôt élégiaques, mais toujours atmosphériques. Il y a quelques passages instrumentaux (l'introduction de "Dawn Of The Dead", le long interlude "Clockwor Grey"), et à l'occasion des chants féminins évanescents (celui d'Ashley Leffler sur "Searching For Some Beautiful", celui de Louise Fraser sur "Murder Of The Crows"). Et les morceaux s'étirent parfois longuement.

L'objectif d'un tel travail, évidemment, est de mettre en valeur les pensées profondes et les idées noires du rappeur. Et Sadistik en a à revendre. The Balancing Act se présente comme une quête déçue, celle du bonheur, de l'amour, de la plénitude, qu'importe, personnifiés par cet ange que les paroles mentionnent de façon redondante. Cette recherche, il en est nommément question sur "Searching For Some Beautiful". Au cours de ces réflexions, Sadistik s'engage aussi dans des considérations métaphysiques qui l'amènent à se pencher sur des questions telles que l'existence de Dieu, avec "Playing God", et "Ashes To Ashley", l'un des meilleurs morceaux de l'album, délivré avec le concours de Mac Lethal.

Mais la recherche du rappeur est vouée à l'échec, comme l'indique ce moment central qu'est le long et pessimiste "Absolution". La mélancolie domine aussi sur "Murder Of The Crows". Au bout du compte, sur "Angel Eyes", c'est le diable que Sadistik découvre derrière les yeux de l'ange tant recherché, avant de dresser sur "November" le bilan d'un amour terminé dans la douleur. Avec le finale en plusieurs mouvements "The Exception Of Everything", tout n'a donc plus qu'à s'achever dans l'apathie, la surconsommation de médicaments et l'attente de la mort, les bras grands ouverts.

Sur "Writes Of Passage" (avec Vast Aire de Cannibal Ox), Sadistik rappelle qu'il vient de Seattle, la ville de Jimi Hendrix et de Kurt Cobain, deux rockeurs qui se sont autodétruits. Il est issu d'un Etat "où la pluie ne cesse jamais". Et ce lieu, le Nord-Ouest américain, il lui offre un rap qui lui ressemble. Celui, triste et neurasthénique, d'un Blanc dépressif.

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