Sud des Etats-Unis, années 2000 : Lil Wayne, de La Nouvelle-Orléans, et All Star, de Nashville, deux collaborateurs occasionnels, sont l'un et l'autre des artistes Cash Money. Le premier est une star absolue, il est le plus grand rappeur du monde, comme il le dit lui-même. Tout ce qui vient de lui, albums, collaborations ou mixtapes, est attendu avec impatience et avidité comme une manifestation du messie. L'autre, cependant, traverse une période difficile au niveau personnel. Il se languit et voit sa carrière péricliter. Alors, puisqu'on ne le laisse pas sortir un album officiel, celui que l'on appelle aussi le Cashville Prince, Jermaine Shute de son vrai nom, gère ses frustrations avec la série Starlito's Way.

ALL STAR - Starlito's Way 2

Le nom de cette sortie ne doit rien au hasard. Elle s'inspire du film Carlito’s Way, de Brian de Palma (L'impasse, en VF), qui met en scène un gangster (incarné par Al Pacino) cherchant à se ranger. Cette série a un premier volet en 2007, mais elle ne prend toute son ampleur qu'en 2008, avec un second sous la forme d'un double-album de 31 morceaux.

Ici, le rappeur qui s'était fait connaître par un style clinquant fait de punchlines et de freestyles devient introspectif. Même si les jeux de langage sont toujours là ("Alphabet Soup"), All Star manifeste un goût nouveau pour des instrumentaux lents et mélancoliques, construits souvent à partir de pianos tristes, comme avec le très poignant "Bless".

Starlito's Way 2, donc, est fait de deux parties. La première, December 15th A Star Was Born, se penche sur le passé de Shute. Il retrace son parcours. Sur les titres de début et de fin, "Life Story" et "Internal Affairs", il nous parle de sa famille. Sur cette moitié cependant, avec "I'm On It", "Hatin' Ain't Healthy", "Gangsta-est Swag Of The Year" et "Nawimtalkinbout", on trouve encore des sons criards. All Star, qui prétend toujours être une star ("I'm A MF Star"), s'inscrit dans un contexte gangsta festif, fait de vie en club, de substances ("Champagne And X") et de deal (le "She Works Hard For The Money" de Donna Summer devient, avec Yo Gotti et Young Buck, un "Grind Hard For The Money").

Mais avec Internal Affairs, le second volet de Starlito's Way 2, le ton change. On s'attarde alors sur la période de déprime traversée par le rappeur. On passe à la confession. Shute dialogue même avec lui-même, sur "Mirror Man". Ses thèmes sont l'abandon, la rancœur, le dépit et le renoncement, comme le laissent entendre des titres tels que "Fuck Em All", "That Shit Aint Real" et "Rap Music Ruined My Life". Il y parle de déceptions amoureuses, de la duplicité de ses proches, de la tromperie des maisons de disque. Il y est question de reprendre sa liberté et le contrôle de soi-même. Désormais, on change de dimension, on tourne une page.

Compte-tenu de sa nature officieuse et de son rap en berne, Starlito's Way 2 demeurera une sortie méconnue, repérée (et célébrée) seulement par les plus avertis. Mais il s'agit d'un projet pivot, probablement le plus important de la carrière d'All Star. C'est avec lui que Jermaine Shute change de pseudonyme, et qu'il devient donc Starlito. C'est après qu'il retourne à ses études, qu'il prend sa carrière en main et qu'il crée son propre studio. C'est alors qu'il s'associe avec DJ Burn One et qu'en 2010 il sort avec son appui une autre sortie jalon, Renaissance Gangster. C'est par la suite qu'il s'acoquine avec Don Trip pour la série des Stepbrothers. C'est ainsi qu'il devient la valeur sûre qu'il est encore aujourd'hui.

Sud des Etats-Unis, années 2010 : bien que son influence sur la nouvelle génération soit absolument monstrueuse, Lil Wayne semble grillé, il est un has been. Mais Starlito, lui, même s'il demeure inconnu du grand public, est un personnage respecté du rap. Il continue à sortir, avec une impressionnante régularité, de nombreux projets très solides. Et ce statut, il l'a construit à l'époque où il s'appelait encore All Star, avec ces actes fondateurs qu'ont été les Starlito's Way.

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