SEXYY RED – Hood Hottest Princess

C’est le gros problème avec la discrimination positive : guidée par une intention louable, elle réalise parfois tout le contraire de ce qu’elle vise, portant la suspicion sur les gens qu’elle cherche à aider. L’exemple même, c’est cet engouement exagéré pour les rappeuses qui sévit depuis l’ère #MeToo. Le rôle des femmes dans le rap ne doit pas être minoré (je crois me souvenir avoir écrit un livre dessus), pas plus que leurs difficultés à percer dans ce milieu. Mais on ne gagne rien à exagérer leur talent. La musique est la grande perdante, quand c’est le militantisme qui dicte son agenda.
Or, que voyons-nous, depuis quelques années ? Des sorties passables délivrées par des femmes, placées au même niveau que des chefs d’œuvre conçus par des hommes. La mise à jour des cinq-cent plus grands albums du magazine Rolling Stone en est l’illustration récente. De même, régulièrement, on nous vend comme la dernière sensation des rappeuses certes sympathiques, mais pas extraordinaires. C’est peut-être un tort, mais à un ou deux semi-tubes près, je n’aime ni Ice Spice, ni Saweetie, ni même Megan Thee Stallion, Flo Milli ou Latto. Seule Glorilla, à la limite, a mon estime.
Au bout du compte, tout cela n’aboutit qu’à une chose : on finit par être méfiant, cynique, circonspect, et à jeter le bébé avec l’eau du bain. Cela a bien failli arriver avec Sexyy Red.
Vue de loin, celle-ci est anodine. Elle n’est que l’énième itération du modèle dominant dans le rap au féminin, la fille dévergondée qui émoustille les mâles et vante son pouvoir sur eux. Elle a un look d’époque avec sa peau tatouée et ces cheveux teints en rouge (voire en blond, ou en bleu), auxuquels s’ajoute, moins habituel, une paire de lunettes. Et sa visibilité soudaine, pour le moins suspecte, a tout d’un lancement de produit. Bien que Janae Wherry soit active dans le rap depuis plusieurs années, elle a fait irruption tout à coup début 2023 avec un producteur déjà installé, Tay Keith, grâce au single « Pound Town ». Puis on l’a vue auprès des superstars Drake et Travis Scott, recevoir les éloges de Cardi B et de Post Malone, et revisiter le morceau susmentionné avec Nicki Minaj.
Toutefois, sur le réjouissant dernier titre de sa seconde mixtape, Hood Hottest Princess, la jeune femme se compare à Gucci Mane, ce qui lui donne de suite du crédit. De fait, de sa voix légèrement éraillée, et sur des pianos simplets mais accrocheurs que n’aurait pas désavoués Zaytoven, Sexyy Red propose le même rap drôlement excessif et excessivement drôle que son modèle. C’est le même humour pince-sans-rire, fondé sur des vantardises plus outrées les unes que les autres.
Certaines portent sur ses montres, ses bagnoles ou ses chaines en or, mais la plupart parlent de sexe, « Rouge la Sexy » disant soumettre les hommes à ses désirs, tout comme ses homologues mâles prétendent le faire avec les femmes. « Pound Town » est un modèle du genre avec ses histoires de cunnilingus et ses paroles marrantes d’une intense sophistication (« ma chatte est rose, mon trou du cul est brun ») dignes de Bruno Le Maire, cet autre grand canaillou. « Hellcats SRTs » nous parle d’une gaudriole en voiture. Et sur « Mad At Me », la rappeuse fait part de ses exigences sexuelles.
Sexyy Red nous ramène aux grandes heures du rap scandaleux. Quand l’influence n’est pas celle de Gucci Mane, alors elle vient de Memphis, avec les sons de DJ Paul et Juicy J sur « Sexyy Walk ». Ce dernier contribue d’ailleurs à l’hymne pour strip club « Strictly For The Strippers », qui se réapproprie le « Sippin’ On Some Syrup » de Three 6 Mafia. Cela est frais, amusant, irrévérencieux, libératoire et aboutit à des tubes, comme ce « SkeeYee » où Sexyy Red met en avant une salutation typique de sa ville, St Louis, ou bien encore ce duo avec Sukihana, à propos de filles qui veulent juste s’amuser. Qu’il soit porté par un homme, une femme ou les deux, c’est comme ça que le rap devrait toujours être.