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STEVE WAKSMAN - Instruments Of Desire

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STEVE WAKSMAN - Instruments Of Desire

Dans son livre The Tanning Of America, le businessman du rap Steve Toute expliquait comment il avait convaincu les dirigeants d'Apple Music, au moment de lancer leur service, que leur logo devrait être une note de musique, plutôt qu'une guitare électrique, celle-ci ne signifiant plus grand-chose pour la nouvelle génération. Leur intention d'utiliser ce symbole, cependant, ne venait pas de nulle part. A leur époque, aux heures de triomphe du rock, la guitare a été au cœur de la musique, elle en a été synonyme. Elle a capté l'attention par son son neuf et bruyant. Elle a polarisé les regards, par son aspect graphique. Elle a été l'instrument du désir. Et bien sûr, compte-tenu de cette prééminence, Steve Waksman a eu beaucoup à dire à son sujet.

STEVE WAKSMAN - Instruments Of Desire

Steve Waksman, c'est l'auteur d'un grand livre sur le rock, This Ain't The Summer Of Love, une histoire croisée du punk rock et du heavy metal. Et comme le suggère son intérêt pour de tels genres musicaux, il est un passionné de guitare électrique. Plusieurs années avant cet ouvrage, il en avait commis un autre, Instruments Of Desire, en 2001, où il avait employé son érudition et son esprit d'analyse à l'étude de l'instrument à six (parfois douze) cordes au son amplifié.

L'histoire de la guitare électrique est vaste. Aussi Waksman a-t-il dû faire des choix.

D'abord, il a concentré son récit sur quelques personnages qui ont fait avancer l'utilisation et la perception de l'instrument : le jazzman Charlie Christian, qui avant sa mort prématurée a contribué à la naissance du be-bop et à l'essor de la guitare électrique ; Les Paul, l'un de ses grands vulgarisateurs, celui qui a donné son nom aux instruments du même nom ; Chet Atkins, qui en a introduit l'usage dans la country, contribuant à donner un avenir riche à ce genre ; l'immense bluesman Muddy Waters; Chuck Berry bien évidemment, le grand originateur du rock'n'roll ; Jimi Hendrix, le plus emblématique et le plus possédé des virtuoses de l'instrument ; ces furieux rockeurs blancs engagés et pro-black de Detroit qu'ont été le MC5 ; et Led Zeppelin, le groupe qui, en quelque sorte, en est l'apothéose, dans un chapitre final où s'expriment déjà quelques-unes des idées exprimées dans This Ain't The Summer Of Love.

Steve Waksman, ne s'aventure pas au-delà de cette époque. Parce qu'elle est l'apex de la guitare, sans doute. Parce qu'elle en fait une fois pour toutes un grand symbole de la culture populaire. Le reste de son histoire en découlerait presque. Alors l'auteur n'en parle pas, sinon pour sauter brièvement, en conclusion, à l'époque contemporaine de son ouvrage, celle où le rock commence à être de l'histoire ancienne, celle où la guitare électrique change de statut, où elle passe d'instrument disruptif et scandaleux, d'agent du changement, à objet de tradition.

Waksman analyse aussi un film à succès des années 80 où se retrouvent tous les symboles et toute la puissance de la guitare : Retour Vers Le Futur. La mettant en scène à plusieurs reprises, il en dévoile toutes les significations et tous les paradoxes d'objet éminemment masculin immiscé dans l'histoire délicate entre les noirs et les blancs des Etats-Unis d'Amérique.

Car l'autre parti-pris de l'auteur, c'est de parler de l'instrument au travers de deux filtres : le genre et la race. De façon très américaine, Instruments Of Desire s'inscrit dans les gender studies et les race studies qui sévissent dans les milieux intellectuels et universitaires de là-bas.

Objet phallique qui, par le son comme par la forme, voire dans la gestuelle de ses praticiens, évoque immanquablement l'acte sexuel, la guitare est présentée comme enjeu de virilité entre les deux communautés. Pendant que Jimi Hendrix, par sa virtuosité musicale et sa réputation de bête sexuelle, toutes deux hors du commun, renforce les fantasmes sur l'intimidante masculinité des noirs, le MC5 glorifie la bestialité supposée des Afro-Américains, il la revendique, perpétuant un vieux cliché issu de ce racisme qu'ils prétend combattre.

Waksman a le mérite de la subtilité. Il nous parle d'une histoire compliquée, ou rien n'est noir ou blanc, ou rien n'est jamais simple ni définitif. Il cite beaucoup d'auteurs, pour appuyer certains de ses propos, mais à chaque fois, il modère le propos, il apporte une nuance, comme avec Simon Reynolds, à qui il reproche de surjouer l'opposition entre rock et rave music.

Le fameux critique britannique est brillant et passionnant, il est l'un des meilleurs historiens de la musique. Mais c'est un idéologue, qui soumet souvent son sujet aux convictions qu'il a acquises pendant sa jeunesse, à l'époque du post-punk (la détestation du "rockisme", tout ça), et qui fait entrer les faits à marche forcée dans les cases qui lui conviennent. C'est ce qui lui permet d'imposer des idées force. En bon gourou, c'est ce qui rend ses propos séduisants.

Waksman, lui, c'est tout le contraire. Il est honnête. Il a les réflexes prudents d'un scientifique. A force d'apporter de la nuance dans la nuance de la nuance, ses propos sont plus complexes, moins fluides, moins forts. Quelques années plus tard, sans perdre aucune de ces qualités, This Ain't The Summer Of Love sera éclairant et fulgurant, alors que Instruments Of Desire parait encore trop touffu et longuet, en manque criant de message fort. Il n'en est pas moins une somme riche et pertinente sur l'instrument d'une grande révolution sociale et musicale.

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