Tierra Whack ne fera pas partie de ce "27 Club" qui intitule l'un de ses derniers morceaux. Son nom n'allongera pas cette liste macabre de chanteurs disparus à l'âge de vingt-sept ans. Elle n'a pas grand-chose à voir avec eux, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, elle a déjà fêté son vingt-huitième anniversaire, et elle n'a pas l'intention de mourir. Et puis, contrairement à eux, elle n'a sorti aucun véritable album avant ce World Wide Whack qu'elle présente comme son premier.

Sorti en 2018, Whack World a beau avoir été une petite sensation de la décennie passée, il n'a rien à voir avec ce format. Alors qu'un album classique dépasse les trente ou les quarante minutes, celui-ci s'est limitée à un petit quart d'heure. Alors qu'ordinairement seuls les singles font l'objet de clips, c'est ici la sortie intégrale qui a été illustrée par une vidéo. Tandis que les morceaux de rap durent en général trois ou quatre minutes, ceux de Tierra Whack ne sont jamais allés au-delà des cinquante-neuf secondes, afin de garantir leur présence chez TikTok. Avec Whack World, la chanteuse et rappeuse ne s'est pas alignée sur les vieux formats musicaux, ceux du vinyle ou du CD, mais sur ceux des réseaux sociaux.

World Wide Whack, lui, est présenté comme un album. Et de fait, il est d'une forme et d'une durée plus conventionnelles. Néanmoins, sur tous les autres aspects de cette sortie, tout est exactement pareil. Six années, un âge entier, se sont écoulées depuis Whack World. Tierra Wack a tardé à y donner suite. Pourtant, cette œuvre est similaire à la précédente.

Il s'agit à nouveau de quinze morceaux éclectiques, inventifs, ludiques et tout de même relativement concis, complétés par des vidéos créatives et bariolées, et profitant du soutien marqué d'artistes multidisciplinaires, tel Alex da Corte pour la pochette. La chanteuse et rappeuse est toujours cette jeune femme aimant les facéties, les jeux et les couleurs, et qui fuie la cruauté du quotidien dans le confort de l'imagination, comme sur le joli "Imaginary Friends". Il n'y a plus de doute, elle est l'une des grandes excentriques du rap et du R&B. Sa place est auprès de Missy Elliott et d'André 3000.

Avec elle, tout change, tout le temps. Sur ce projet à l'arrière-goût d'enfance, toutes sortes de sentiments contradictoires se mêlent. L'intéressée commence l'album, sur "Mood Swings", par dire qu'elle est sujette aux mouvements d'humeur, et elle emploie le reste à le démontrer. Elle célèbre des plaisirs simples, les meilleurs de la vie, comme celui de chanter sur la douche sur le tube "Shower Song". Mais elle chante aussi la noirceur de la dépression, sur "Numb", et la colère après un amour déçu, sur "X". Elle parle de suicide sur "Two Night", mais avec humour, précisant qu'elle ne paiera pas la facture d'électricité avant de partir. Ou bien elle se livre à l'autocritique, celle de son insatisfaction sur "Burning Brains". Bref, elle passe en un instant du sourire aux larmes.

Son registre musical évolue tout autant. Aux percussions tribales du très bon "Ms Behave", succède la mélodie de poche de "Chanel Pit". Plus tard, après la délicieuse ballade R&B de "Moovies", survient la complainte à guitare "Difficult". Un peu plus loin, c'est un titre de club simplet qu'elle dégaine, "Invitation". Et certains de ces titres sont conclus par les notes d'un piano expérimental. La voix de Tierra Whack se modifie, aussi. Elle passe de forte à basse, de claire à déformée, de scandée à marmonnée, de rappée à chantée.

C'est fou, tout ce que la native de Philadelphie arrive à faire rentrer sur un "disque", fusse-t-il deux fois et demie plus long que le précédent. Comme il y a six ans, Tierra Whack excelle à placer un maximum d'idées sur un minimum de place, sans jamais risquer la surcharge tant chaque morceau est minimaliste, sans jamais cesser d'être accrocheuse et grand public. Comme quoi, inutile de la ramener avec ce mythe rock'n'roll miteux de l'autodestruction, pas besoin de mourir à vingt-sept ans pour espérer finir chez les grands.

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