C'est un univers en soi, l'un de ceux, nombreux, dont le rap est désormais composé. Celui des esthètes, de la critique et des journalistes, plutôt que celui de la rue. Un rap pour intellectuels teinté d'expérimentation, et dont l'attrait public n'est pas acquis. Un rap centré sur New-York mais ouvert sur le monde, héritier vague de héros underground à la MF Doom. Et cet univers, Michael Bonema, connu plus simplement sous le nom de Mike, en est un spécimen exemplaire.
New-York ? Avec lui, on y est, à Brooklyn pour être plus exact. MF Doom ? C'est l'un de ses modèles. Son premier titre a été une reprise du "All Caps" conçu par ce dernier avec Madlib. Et tout comme lui ("All Caps", en effet…), MIKE aime capitaliser son nom d'artiste. L'ouverture sur le monde ? D'origine nigériane, il a vécu à Londres près de sa mère avant de rejoindre son père à Philadelphie, et il aimé le grime de Skepta avant le rap américain. L'expérimentation ? Elle irrigue le rap difficile dont est constitué son œuvre.
Ce rap difficile, toutefois, Mike lui tourne le dos avec sa dernière sortie. Celle-ci est une collaboration avec un autre homme de Brooklyn, Tony Seltzer, anciennement Yung Gutted, un producteur déjà présent sur la sortie qui a révélé Mike il y a sept ans, May God Bless Your Hustle, et qui a évolué dans le même cercle (avec Wiki, Princess Nokia, WiFiGawd, ce genre de gens…), en plus d'une poignée de célébrités. Et ensemble, après avoir voulu prolonger leur morceau commun "R&B" par un projet plus long, ils ont enregistré l'album le plus réjouissant et le plus accessible de la carrière du New-Yorkais, un album d'autant plus digeste qu'il s'étend sur une durée limitée à vingt petites minutes.
Les sujets sont plus légers que d'habitude. Mike se lance dès le premier titre dans un égo-trip gangsta, ses thèmes sont ceux de ce registre (la délinquance, les opps, les filles et les strip clubs), et l'humour est présent. Quant à Seltzer, il opte pour les motifs rythmiques de la trap et de la drill. Et la musique en devient plus accessible, En témoignent la mélodie et la cloche de "On God", une collaboration avec un autre parrain de Mike, Earl Sweatshirt, et avec Tony Shhnow, ou bien encore la ritournelle simpliste de "Yin-Yang", où Mike déploie un flow marmonné-chantonné du meilleur effet.
Néanmoins, cela demeure du Mike. Ce n'est pas du rap de rue débité au mètre. L'approche reste artistique, la musique est originale. La trap de "Two Doors" est hantée par une voix gothique et par un sample d'un vieux groupe du Memphis de la grande époque, MC Money & Gangsta Gold. Des mélodies surannées surgissent par moments. La musique de "Pinball" évoque celle du jeu en question. Des décélérations et accélérations surviennent inopinément, comme en fin de "Underground Kingz" ou sur le très bon finale "2k24 Tour", avec Niontay. Et le tout, hostile à toute formule, se révèle rempli de surprises, de détours et de sons contrastés. Aucun morceau n'est le même. L'expérimentation est toujours là, mais c'est la bonne, celle qui se dévoue au plaisir de l'écoute.
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