Qu’attendre de LL Cool J ? Un homme qui a connu son heure de gloire il y a près de quarante ans, qui n’avait plus sorti d’albums depuis une décennie entière et qui, depuis un bon moment, semble davantage préoccupé par sa carrière d’acteur que par celle de rappeur ? Qu’espérer de ce retour chez Def Jam dont le principal argument semble, à premier abord, une prestigieuse liste de collaborateurs, légendes du rap issues de plusieurs ères (Snoop Dogg, Nas, Busta Rhymes, Eminem, Rick Ross) et jeunes pousses destinées à rééquilibrer la pyramide des âges et des genres (Saweetie). Rien, non ? Et pourtant, il y a de quoi bien se repaitre, sur The Force.
"Frequencies Of Real Creative Energy", est censé signifier ce quatorzième album de Cool James Smith. Et cette fois au moins, on ne ment pas tout à fait sur la marchandise. L'énergie et la créativité son bel et bien là, le rappeur abordant avec mordant un large panel de sujets.
Certains sont sérieux et sociétaux : dénonciation du racisme ("Spirit Of Cyrus"), référence à Huey P. Newton des Black Panthers ("Huey In The Chair"), religiosité à la mode Black Muslim ("Praise Him") et exaltation de l'identité noire ("Black Code Suite", avec la chanteuse gambienne Sona Jobarteh pour soutenir le discours). D'autres se penchent sur son art : allégeance au hip-hop éternel ("The Force", "Basquiat Energy") et leçon d'authenticité ("Saturday Night Special").
Le rappeur partage aussi quelques instants autobiographiques : retour sur son parcours et sur son ambition ("Post Modern"), ou réflexion sur son âge ("30 Decembers"). Et puis bien sûr, LL Cool J le séducteur refait surface : il joue un duo sensuel sur "Proclivities", avec Saweetie.
Cette dernière pourrait être sa fille… Le rappeur néanmoins, ne cherche pas à paraitre plus jeune que son âge. The Force est fidèle à sa tradition, la new-yorkaise. C'est, plus ou moins, du boom bap bien garni en samples (certains bien cramés, comme avec le "Halleluwah" de Can ou le "Don't Stop 'Til You Get Enough" de Michael Jackson), au service d'un homme qui cherche à représenter la minorité afro-américaine. Mais c'est moderne. LL Cool J embrasse toute l'histoire du rap, faisant par exemple allusion à Pop Smoke tout autant qu'à Rakim ("The Force"). Et avec l'aide d'un autre vétéran à la production, Q-Tip, il a très bien soigné cette dernière livraison.
D'entrée, avec ce venimeux réquisitoire contre les abus policiers qu'est "Spirit Of Cyrus", le vétéran montre qu'il n'a rien perdu de sa verve. A la toute fin, il se dépeint comme un messie sur le très bon "The Wow", un posse cut mémorable avec son instru oriental. Et entretemps, Il se mesure sans peine à deux autres historiques de la virtuosité rap. Nas et lui démontrent leur fraicheur "lyricale" inchangée sur les percussions du trop court "Praise Him". Et LL Cool J bat Eminem à son propre jeu, celui d'un flow dense et précipité, sur le médiocre "Murdergram Deux", une suite au titre homonyme de Mama Said Knock You Out, cet autre grand album du retour. Tout cela est plutôt remarquable, pour un "vieux rappeur" de cinquante-six ans.