Osons le dire : Nathaniel Thompson est l'acteur le plus important de l'histoire du rap anglais. C'est lui, en renouant avec le modèle américain, celui du gangster, qui lui donne paradoxalement un futur. C'est lui qui apporte une alternative au grime et qui ouvre la voie à la UK drill, en cette époque pivot qu'est le passage entre les deux premières décennies du siècle. Ce rôle, il le consacre avec son premier album pour XL Recordings, le label britannique qui, de Prodigy à Adele en passant par Dizzee Rascalz, accompagne le succès des plus grands phénomènes musicaux de son pays.
Giggs a alors déjà imprimé sa marque. Apparu au cours de la décennie précédente, il a sorti déjà un premier album, Walk In Da Park, ainsi que plusieurs mixtapes gratuites. Il a collaboré aussi avec les grands du grime Wiley ("Zip It Up") et Skepta ("Look Out"). Preuve de son essor, il a la police aux fesses qui, peu ravie de voir cet ancien délinquant gagner en influence, fait pression pour annuler ses concerts.
Celui dont le surnom vient de "giggler", le ricaneur, ne rigole pas vraiment. Son thème, déclamé d'une voix monotone, ce sont les combines de la rue ("Hustle On"). Ses paroles, ce sont des confessions sur sa vie passée entre rap et criminalité ("The Way It Is"), sur son existence périlleuse ("Life") et sur sa victoire contre l'adversité ("Ner Ner"). Ce sont des histoires d'armes et de meurtres ("Bus Commercial"), de violence urbaine ("Matic", "Have It Out") et de commerce illicite ("Get Your Money Up"). Ce sont des souvenirs de jeunesse délinquante comme sur "Let Em Ave It", ou bien "Reminiscing", avec les complices Joe Grind et Gunna Dee, et des envies de fuite dans la drogue ("Up, Up And Away").
Aboutissement d'un parcours dont Giggs est sorti vainqueur ("Intro"), Let Em Ave It est néanmoins un album accessible. Destiné à un public plus large, présence chez XL Recordings oblige, il sonne plus mainstream. La musique est scintillante et tourbillonante. On y trouve un single pour les clubs, "Look What the Cat Dragged In," ainsi qu'un grand moment sentimental où il parle d'amour pour sa compagne ("The Loves Still There"), puis pour son fils ("Little Man & Me"). En refrain on entend les scies R&B barbantes de quelques chanteuses (Kyra, Shereen Shabana) ou chanteur (Nathan). Et puis sur des bonus tracks, des personnalités établies telles que l'Américain B.o.B et l'Anglais Mike Skinner, mettent leur notoriété au service du rappeur.
Toutefois, cela reste du Giggs. Il continue à rapprocher les deux rives de l'Atlantique. L'accent et l'argot sont anglais. Il déploie des rythmes anormalement rapides qui rappellent l'héritage grime ("Look What The Cat Dragged In", "What More Do They Want", "Matic"). Dans les sons, comme dans sa scansion et son ton grave, on perçoit ce reggae dancehall si influent en Grande-Bretagne. Mais il y a aussi de gros synthés triomphants qui rappellent la trap music motivationnelle de Young Jeezy ("Intro", "Get Your Money Up"), ainsi que des voix screwed ("Hustle On") et un vague-à-l 'âme résigné de gangster ("Signs") qui rappelent le rap à la texane.
La musique populaire anglaise n'a jamais gagné à se refermer sur elle-même. Chaque fois qu'elle a apporté quelque chose de grand en monde, c'est quand elle a repris à sa sauce des formules inventées d'Amérique, c'est quand elle s'est resourcée là-bas. Giggs en est l'une des dernières manifestations.
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