Depuis belle lurette, le rap new-yorkais des années 90 n'est plus un mouvement. Il est ce que devient chaque mouvement avec le temps : une tradition, perpétuée par un groupe fidèle d'amateurs issus d'horizons divers et de praticiens d'âges parfois différents. Et au sein de cette tradition, on continue à produire de bonnes choses, même si, désormais, elles sont dépourvues de risque et de danger, même s'il leur manque le goût brûlant de la provocation et de l'actualité.
Parmi les praticiens évoqués plus haut, figure l'énigmatique Big Ghost Ltd. Celui-ci, qui a débuté comme critique, s'est affirmé comme l'un des producteurs clés dans ce style depuis Griselda Ghost, sa collaboration avec l'écurie du même nom. Il l'a fait à travers ses travaux communs avec Crimeapple, Hus Kingpin, Knowledge The Pirate, Rome Streetz, Che Noir, et avec même leur parrain à tous, Ghostface Killah.
Et puis il y a aussi Eddie Kaine, le rappeur de Brooklyn.
C'est avec l'aide du premier, que le second s'est fait un nom il y a quelques années, grâce à A Tree Grows In Brooklyn. Et après avoir sorti maints autres albums et mixtapes, il remet le couvert avec le même producteur pour un projet qui, une fois encore, est fermement ancré dans l'asphalte de Brooklyn, ou plus exactement, dans celui du quartier de Bed-Stuy.
Pour ceux qui doutent encore qu'il s'agirait d'un rap à l'ancienne, la présence sur Last Exit To Crooklyn de cette vieille branche de Planet Asia, traditionaliste traditionnel de tradition, ôte toute ambiguïté. On y trouve en effet tout le reste : instrumentation jazz, samples tronqués de voix soul féminines, boucles somptueuses de pianos, de cuivres ou de guitares, bruits de la rue, égo-trips et contes des bas-fonds, sans oublier le posse cut qui va bien ("Roundtable Meeting ").
Dès le premier morceau, The Wrong Era, Edward Stackhouse ("Kaine" est une déformation de son surnom, "king") cite des géants des musiques noires (Jimi Hendrix, Gil Scott-Heron, Billie Holiday, Aretha Franklin, Otis Redding, B. B. King) pour signifier qu'il n'est pas né à la bonne époque.
En effet, il ne l'est pas. Mais au fond, quelle importance ?
Car malgré les instrus rétros, Last Exit To Crooklyn profite de titres en fait plus composés que les boucles d'antan, d'un certain tour mélodique et d'une grande variété des sons, avec quelques pièces de choix comme la saynète à embrouilles "Crooktown", relatée sous forme de dialogue entre Eddie Kaine et RIM, ou bien "All The Above", une vraie chanson soul, où seul subsiste du rap la rudesse du ghetto.
Alors, ne nous soucions pas trop de savoir si c'est le talent ou la familiarité qui nous séduit ici. Contentons-nous d'en jouir, tout le temps que ces ficelles fonctionneront encore.
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