Cet album officiel de Chief Keef est une grosse affaire. Une plus grosse que Dirty Nachos, une “mixtape” plus récréative sortie également cette année, avec le renfort de Mike WiLL. Almighty So 2, en effet, est annoncé depuis 2018, et c’est un travail long et bien produit, avec les invités qui conviennent à un rappeur de ce rang : outre le collègue G Herbo, le fidèle Ballout et le protégé Lil Gnar, apparaissent ici Quavo et deux des rappeuses du moment, Sexyy Red, et de manière moins attendue Tierra Whack. Bref, Chief Keef a apporté du soin et de l’attention à cette sortie qu’il a lui-même produite, et qui est sa plus médiatisée depuis longtemps.
Laissant entrevoir le Soundcloud rap à venir, le premier Almighty So a été un jalon, une preuve du caractère précurseur du rappeur de Chicago. Mais le second ne ressemble pas à cette vieille mixtape. Il ressemble à Chief Keef, tout simplement. A ce sauvageon qui, quelque part autour de 2012, a dévoilé au monde la drill music. Et il n’y va pas avec des pincettes, dégainant d’emblée un sample bien pompeux de Carl Orff (Carmina Burana, ça marche toujours…) pour se poser en personnage tout-puissant, prêt à tout déchirer quatre ans même avant sa naissance.
Cet album est rempli de morceaux proprement ébouriffants, tels que "Neph Nem", ce "Jesus" tout en chœurs majestueux, ce "Too Trim" agressif, entêtant et répétitif, ce "Never Fly Here" au piano fou. Le rappeur de Chicago est en verve, il rappe sans peur, sans reproche, et avec force, la voix poussée en avant. Il crie, et parsème son album de bruits de mitraillettes ou de moteurs.
Cependant, Chief Keef a toujours été beaucoup plus qu’une brute. Il est un rappeur à l’oreille musicale, comme le montrent de petites merveilles telles que le fantastique "Treat Myself". Cet égo-trip est d’autant plus insistant qu’il fait rimer incessamment le même mot ("myself", évidemment), mais sa production est surprenante, avec ses chœurs erratiques et évanescents. Même réussite avec ce "Banded Up" que Tierra Whack complète d’un flow en double-time.
Les compositions de celui qui se fait appeler aussi Sosa peuvent paraître simples et frontales. C’est l’impression qu’elles cherchent à donner. Mais à les écouter de plus près, on découvre des détours et des curiosités, dans les sons comme dans les intonations, le single "Tony Montana Flow" étant un cas d’école. On surprend des changements de routes ou de mouvements, comme sur ce "Drifting Away" aux faux airs de cloud rap. On se surprend à aimer des titres moins pétaradants, comme ce long mais prenant "Prince Charming" émaillé de vieux souvenirs.
Quant aux provocations nihilistes de Chief Keef, elles ne sont pas toujours dépourvues d'acide et de substance, comme avec le "Jesus Skit", quand il distingue les rappeurs noirs au teint clair (les cœurs fragiles ou les intellos du rap), de ceux au teint plus sombre (les vrais gangsters).
Ici, Chief Keef rappelle une fois pour toutes ce que l’on sait de longue date. Qu'il n’a jamais été la sensation passagère que laissait présager le single "I Don’t Like". Il est, au contraire, l’un des géants du rap. C’est à raison qu’il déclare, sur l’excellent titre de clôture "I’m Tryna Sleep" :
Ah, bitch, it's ten years later, they still lovin' Sosa
Ah, putain, nous sommes dix ans après, ils aiment toujours Sosa