Stones Throw Records est, à ce jour encore, l'un des labels de rap indépendant les plus emblématiques. Il a à son actif quelques jalons, des albums extraordinairement célébrés par la critique tels que Madvillainy et Donuts. Il a su traverser le temps en diversifiant son catalogue avec DāM-FunK, NxWorries et la métamorphose soul d'Aloe Blacc, tout en conservant sa colonne vertébrale hip-hop. Et pourtant, comme souvent dans le monde de l'underground, c'est par dépit que Peanut Butter Wolf a fondé son illustre maison.

CHARIZMA & PEANUT BUTTER WOLF - Big Shots

Tout remonte au début des années 90, quand celui dont le véritable nom est Chris Manak se lie à Charles Hicks, un jeune rappeur de Milpitas connu sous le nom de Charizma.

En cette période faste pour le rap, le duo attire bientôt l'attention de l'industrie du disque. En 1992, il se retrouve chez Hollywood Basic, la filiale de Disney qui a signé aussi Organized Konfusion. Mais la sauce ne prend pas, leur label imposant aux deux garçons des vues qui ne leur conviennent pas. Et puis, pour clore une bonne fois pour toutes la collaboration, Charizma est tué sans raison en décembre 1993, à Palo Alto, alors qu'il attendait sa mère devant une église.

Créé en réaction au contrôle artistique que voulait lui imposer Hollywood Basic, Stones Throw Records est aussi la solution trouvée par Peanut Butter Wolf pour publier les créations du duo. La première sortie du label, en effet, est en 1996 "My World Premiere", un maxi avec Charizma. Et en 2003, dix ans pile après la mort de ce dernier, toujours sur son label, le producteur reprend les travaux divers qu'ils avaient enregistrés entre 1991 et 1993, pour sortir l'album posthume Big Shots et rendre hommage à son ami décédé.

On sait, rétrospectivement, ce qu'a été le hip-hop indépendant des années 90 : une vague conservatrice, une assemblée de gens qui n'ont pas voulu voir disparaitre le rap ouvert, arty et ludique d'une certaine époque. Et cet album, produit par l'un des activistes les plus importants de ce mouvement, le confirme. A l'époque où le rap change à toute allure, Charizma et Peanut Butter Wolf prolongent la musique jaillissante du Golden Age et de la fin de la décennie précédente.

Dénichée sur un vieux titre d'Al Green, la boucle joyeuse de "Here’s A Smirk", en est la preuve, tout comme son rythme soutenu. Ce sont des raps qui parlent de faire du rap, comme sur "Methods" et "Red Light Green Light", l'un des rares morceaux sortis du vivant de Charizma. Ce sont de nombreux égp-trips bon enfant. Ce sont des morceaux à la fois rigolos et moraux, comme "Jack The Mack", à propos d'un coureur de jupon qui finit par attraper le VIH, et "Devotion", une histoire où, amant volage, il finit par découvrir, déconfit, que sa compagne n'a pas été plus fidèle que lui.

Contrairement à ses pairs californiens de l'époque, le rappeur n'embrasse pas la violence du ghetto, il souhaite s'en échapper en suivant le marchand de glaces ("Ice Cream Truck"). Il est un garçon normal pris entre le désir de plaire aux filles et celui de réussir dans le hip-hop ("Fair Weathered Friend"). Sa perspective est enjouée et son ton optimiste, refrain de type raggamuffin à l'appui ("Soon To Be Large").

L'influence est la même, côté production. On y relève une passion marquée pour les samples. Ceux-ci sont nombreux, et manipulés avec talent par Peanut Butter Wolf. On constate une révérence envers New-York, plutôt qu'envers les modèles voisins en Californie. On aurait pu entendre ce suave "Methods" à la même époque chez Pete Rock et CL Smooth. Il y a aussi plusieurs morceaux inventifs et enjoués qu'on croirait sortir du répertoire des Native Tongues et d'A Tribe Called Quest, un groupe samplé plusieurs fois ici. Parfois Charizma joue au gentil séducteur à la LL Cool J, sur "Talk About A Girl" par exemple. Et quelquefois, l'ambiance sonore est très franchement old school, comme avec "Pacin' The Floor" et ses scratches sérieusement endiablés.

A l'écoute de cet album, pas un classique oublié comme l'ont prétendu certains, mais un très bon disque néanmoins, on comprend ce que Peanut Butter Wolf a voulu faire avec Stones Throw : une continuation de tout cela, la suite d'un rap qui l'a passionné dans ses plus jeunes années, mais qui allait disparaitre, en même temps que son regretté complice.

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