C'est là-bas, à Nevada City, en Californie du Nord, qu'a grandi Joanna Newsom, la grande prêtresse de ce mouvement psych folk (ou weird folk, ou je ne sais quoi encore), cette rémanence des atours les plus bizarres et les plus hallucinés de l'époque hippy, qui a sévi tout au long de la décennie 2000. Mais Nevada City, c'est aussi la ville d'Alela Menig (Diane est en fait son deuxième prénom). Les deux se sont connues, d'ailleurs. Seul un an les sépare, et c'est grâce à la première que la seconde a pu donner ses premiers concerts.

ALELA DIANE - The Pirate's Gospel

Néanmoins, le folk d'Alela a peu en commun avec celui de Joanna. Pas de numéro de harpiste hystérique sur The Pirate's Gospel, l'album de la révélation, mais le clacissisme relatif d'une guitare acoustique, ou d'un banjo, des complaintes poétiques et hantées délivrées avec un fond de religiosité ("My Tired Feet"), et l'évocation une vie simple et pastorale.

Sa pochette sépia et dépouillée montre bien que l'extravagance n'est pas de mise. Il faut dire que cet enregistrement n'était pas destiné à conquérir le monde. A l'origine, en 2004, il est un enregistrement familial, son second, concocté dans le studio de son père musicien, Tom Menig. Il mettra deux ans de plus avant d'être réédité (dans une version sensiblement distincte) par un label, Holocene Music, de trouver son public, de profiter de la bienveillance de la critique et de devenir ainsi la première brique dans la carrière de cette femme aujourd'hui raisonnablement reconnue et respectée.

Il faut toujours partir pour connaître la nostalgie de la terre qui nous a vus naître. Et c'est bel et bien ce qui est arrivé ici. C'est à l'occasion d'un voyage en Europe qu'Alela Diane a trouvé l'inspiration. Ses morceaux, "The Rifle" ou "Foreign Tongue" par exemple, pleurent souvent un foyer perdu pour toujours. "Gypsy Eyes" nous ramène dans l'enfance de la chanteuse, et "Something’s Gone Awry" nous annonce la fin de son été. "Can You Blame The Sky?" et "Oh! My Mama" parlent tous deux d'un oiseau qui, irrémédiablement, parce que c'est l'ordre des choses, a quitté sa maman et son nid, et "Pigeon Song" d'un autre, égaré dans la ville.

En contrepoint de cet ailleurs inhospitalier, The Pirate's Gospel évoque la terre natale d'Alela, les bois, les sources et les collines de la Californie du nord, le vent frais qui traverse la campagne, le grand ciel qui la recouvre. C'est dans une Amérique pastorale et immémoriale que cette Diane yankee nous emmène avec sa musique, comme avec ces faux airs de squaw qu'elle a sur la pochette (ou l'une des pochettes).

Nonobstant son apparence rustique et de sa musique très dépouillée, The Pirate's Gospel est rempli de trouvailles et de détails qui y trouvent parfaitement leur place : les voix qui se superposent sur "My Tired Feet" quand Alela parle de Jésus, le chant de marin qui est le refrain du morceau épnoyme de l'album, les sifflotements de "Foreign Tongue", les chœurs d'enfants qui surgissent sur "Pieces Of String", et puis surtout cette voix, qui peut être mordante tout autant qu'évaporée. Tout, sur l'album, est idoine et bien senti.

Et puis il y a la chanson la plus poignante de l'album. "Oh! My Mama" est un titre magnifiquement simple sur la transmission, sur ces générations qui s'efface devant les autres, et il se termine par un long silence triste quand vient le temps pour l'enfant du narrateur de quitter le foyer. Il est le chef d'œuvre ultime d'un album qui, tout entier, en est un.

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