Le label Anticon est allé les chercher loin, ceux-là. A Édimbourg, de l'autre côté de l'Atlantique, où depuis 2008 sévit ce groupe multi-ethnique composé d'un homme d'origine nigériane, Kayus Bankole, d'un autre né au Libéria, Alloysious Massaquoi, et d'un Ecossais pur jus, Graham 'G' Hastings. Il est allé les dénicher là-bas, après avoir découvert leur première mixtape (ou EP, selon les versions), Tape One.
Une écoute rapide de leur premier album, ce Dead assez remarqué en 2014, permet de saisir pourquoi la connexion s'est faite. Le trio, en effet, ne dépareille pas un instant sur le label à la fourmi. Il en partage l'esprit, la même attitude.
Tout d'abord, ils ne s'enferme pas dans le hip-hop. A l'image du groupe, la musique est bigarrée et composite. Le premier titre, "No Way", le montre d'entrée, quand se succèdent un accordéon, des sortes de chants indiens, un rap pour le moins inattendu, puis des chœurs et des grosses basses. Plus tard, "Low" joue d'une explosion de percussions, et "Just Another Bullet" d'un bourdon dissonant. "War" est extraordinairement minimaliste. Et c'est plus un bruit de fond qu'autre chose qu'on entend sur "Paying", voire celui d'un moteur sourd sur "Mmmh Mmmh", celui-même dont parlent les paroles. Tout est bon pour surprendre, voix comprises, les trois hommes rappant, parlant, chantant ou jouant d'harmonies vocales, selon le propos du moment.
Le propos, parlons-en.
Tout comme les gens d'Anticon, ces Ecossais manifestent un goût marqué pour l'expérimentation. Par les sons, mais aussi par les mots, souvent énigmatiques et indéchiffrables.
Tout comme Sole et une bonne partie de sa bande, ces hommes ont aussi des opinions à faire valoir, si l'on arrive à percer les arcanes de leurs paroles. Sur "No Way", est dénoncée la violence qui envoie leurs proches directement au ciel, et Alloysious Massaquoi parle de son identité, quand il dit se sentir davantage libérien que presbytérien. "Low" parle des mensonges et des tromperies des puissants, par exemple ce green-washing derrière lequel se dissimulent des pensées mercantiles. Il y a le début d'un appel à la révolution sur "Get Up", et un relent de vieux sud esclavagiste sur cet "Hangman" où quelqu'un cherche vengeance dans le bayou.
Les Young Fathers ont donc toute leur place chez les originaux de Californie. Et ils l'ont encore plus dans leur pays, dans cette Grande-Bretagne qui a toujours cuisiné à sa sauce cet import américain qu'est le rap. Leur démarche évoque beaucoup celle de Tricky, vingt ans plus tôt. Seul ce pays est capable d'apporter du succès à de tels personnages. Car la reconnaissance est venue très vite pour le trio, immédiatement après leur second EP, Tape Two. Dès ce premier album, ils ont été cornaqués en plus d'Anticon par leurs compatriotes de Big Dada, ils ont conquis les faveurs de la critique et ils ont gagné le Mercury Prize, la Victoire de la Musique locale.
Car ils ont cette aisance toute britannique à rendre séduisante une musique qui ne devrait pas l'être. En effet, il y a des tubes sur Dead, des morceaux irrésistibles, tels que le single "Get Up", du R&B aussi accrocheur qu'il est bizarre sur "Paying" et un gospel bancal et néanmoins très beau sur "Am I Not Your Boy". Et l'album, d'une durée compacte, finit en apothéose avec le crescendo superbe de "I’ve Arrived", légitimant l'accueil reçu par ce groupe écossais inattendu, désormais installé dans le paysage musical de son pays.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/3316