Entamée il y a un an, il était logique que notre revue des troupes du Paper Route Empire d'après la mort de Young Dolph, se termine par Young Dolph lui-même. Un album posthume, en effet, est sorti fin 2022. Et contrairement à beaucoup de ses semblables, Paper Route Frank ne cherche pas à capitaliser misérablement sur le tragique événement. Malgré les additions et les aménagements, ce n'est pas du fond de tiroir. Il s'agit là d'un vrai disque, d'un projet que le rappeur avait lancé de son vivant. Et cela est perceptible.
Car c'est bel et bien du pur Dolph. Rien de superflu ne s'est ajouté à son art depuis sa mort. Le rappeur y déploie son humour pince-sans-rire, et il use de son thème majeur, sa fidélité inébranlable à la vie de la rue et au commerce de stupéfiants (le Frank en question, on le comprend sur le single "Hall Of Fame", est le baron de la drogue Frank Matthews).
D'entrée, sur le très bon "Love For The Streets", il impressionne avec ses vantardises invraisemblables, quand il prétend par exemple avoir connu sa première "bitch" à l'âge de sept ans. Young Dolph est mort, et pourtant il est en forme.
A vrai dire, il n'y a rien d'original ni de sensationnel dans ses propos. Ils jouent relativement peu des jeux de mots et des double-sens. Mais ils nous éclaboussent d'impertinence et de classe. Dolph cumule ses fanfaronnades avec éclat : "j'ai une voiture différente chaque jour et j'ai même pas le temps de les conduire" ("Blind Fold") ; "je bois le Dom Pérignon à la bouteille" ("Roster") ; "mille dollars c'est quoi, je viens de dépenser ça dans un manteau" ("Smoke My Weed") ; "je l'ai baisée une fois et elle s'en vante encore" ("Infatuated With Drugs"). Et puis il y a celle-ci, malheureusement si vraie : "tu ne verras plus jamais un négro comme moi" ("Uh Uh").
Ce négro comme lui, Young Dolph en dévoile aussi la face intime. Il le fait sur "Old Ways", quand il explique que sa vie de famille a changé sa perspective. Et sur "Always", même s'il est plus fier que jamais, c'est une existence cernée par les flics, les rivaux et les profiteuses qu'il décrit, et non une partie de plaisir. Sur ce même titre, il anticipe même ses funérailles, se demandant pourquoi la loterie de la rue lui a été favorable jusqu'ici. Et sur "Get Away", il confie son envie de tout envoyer en l'air, le crime, le rap, la célébrité. Tout.
L'entreprise reste familiale, les intervenants principaux étant ses protégés de Paper Route, ainsi que son producteur traditionnel BandPlay. Les autres beatmakers évoluent dans les mêmes eaux, comme Drumma Boy et DJ Squeeky, figure historique de Memphis. Quant aux rappeurs extérieurs, il s'agit de deux hommes qui s'adonnent à la même trap music cocasse : Gucci Mane, le modèle, le parrain, celui grâce auquel beaucoup ont découvert Dolph, ainsi que 2 Chainz.
La plupart de ces gens se défoncent pour honorer le trépassé, ses disciples en tête. Key Glock livre par exemple une bonne prestation sur "That How". Et "Infatuated With Drugs", avec Big Moochie Grape et Snupe Bandz, est une autre franche réussite. Qui plus est, c'est très solidement produit, avec un équilibre parfait entre continuité et diversité, l'emploi de violons, de synthés vrombissants ou de voix vaporeuses pour égayer sa trap music sur l'os et un agencement logique des morceaux, du gaillard "Love For The Streets", à la déprime et aux envies de fuite de "Get Away".
Bref, on entend sur Paper Route Frank un rappeur insolent qui, même six pieds sous terre, continue à braver ses ennemis, sans sourciller. Aucun rappeur ne devrait mourir comme ça, c'est la règle numéro 1. Mais la seconde, c'est que tous les albums posthumes devraient ressembler à celui-ci.
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