Furieux, abrasif, désabusé, railleur et déjanté, malmenant à coups de guitares sales et bancales un format pop in fine traditionnel, X-Ray Spex ne jure pas dans le paysage musical anglais de la fin des années 70, celui du punk, dans lequel ils ont fait irruption avec le single "Oh Bondage Up Yours!". Le quintet, cependant, a alors deux faire-valoir particuliers.
Le premier, c'est ce saxophone inattendu, joué tout d'abord par une fille, Lora Logic, avant qu'elle ne passe bien vite le relai à un garçon, John Glyn, puis à un autre, Rudi Thompson. Les témoignages divergent, quant à la raison de ce départ prématuré. Certains disent que la saxophoniste, à 15 ans, était trop jeune pour poursuivre une carrière dans la musique (elle y reviendra peu de temps après, avec Essential Logic). D'autres, qu'elle était la fille de trop dans le groupe.
Car l'autre atout maître de X-Ray Spex, c'est sa chanteuse.
Poly Styrene refuse alors de jouer de son apparence et de devenir un sex symbol, jurant de se raser la tête si cela arrivait (promesse tenue, elle le fera bientôt). De fait, elle ne ressemble à rien. Elle est vêtue comme l'as de pique, avec des habits colorés comme on n'en avait plus vu depuis les années 60. Elle est coiffée aussi d'une afro en bataille (d'origine somalienne, elle est l'un des rares métisses de ce milieu punk finalement très blanc), et son sourire laisse voir un appareil dentaire. Mais pour tout cela, justement, elle crève l'écran.
Pour cela, et pour ces chants de possédée qu'elle déroule avec entrain sur le premier album du groupe, Germ-Free Adolescents. Pour ces ressorts stylistiques (admonestations, timbre narquois tremblotant, roulements de "r" quand elle prononce le mot "rat") tout juste popularisés par Johnny Rotten. Pour sa voix d'écorchée vive toujours à deux doigts de dérailler, comme sur la ballade punk qui intitule l'album.
On dit que si les punks s'en sont pris à la génération d'avant, c'est qu'elle avait trahi leurs idéaux, et qu'eux-mêmes étaient des hippies déçus. Dans le cas de Poly Styrene, c'est avéré. Elle a passé sa jeunesse dans ce milieu, elle renouera avec dans les années 80, en quelque sorte, en devenant une Hare Krishna (tout comme Lora Logic, tiens…) et elle passe l'essentiel de l'album à vilipender la société de consommation.
Germ-Free Adolescents, en effet, décrie un univers artificiel et aseptisé, envahi par les marques et par les produits de synthèse (cités à l'envi sur "The Day The World Turned Day-Glo"), comme ce polystyrène qui a donné un pseudo à Marianne Joan Elliott-Said (son vrai nom). Il s'acharne sur ce monde qui nous empêche d'être nous-mêmes. "Art-I-Ficial", par exemple, se moque des cosmétiques qui transforment les filles en petits pois déshydratés. L'enragé "Identity" s'en prend à ces médias qui nous font perdre notre personnalité. "Genetic Engineering" s'attaque aux risques d'aliénation que fait courir la science. Quant au grand "Germ Free Adolescents", un titre qu'on aurait gagné à ressortir à l'époque du COVID, il ridiculise l'obsession moderne pour la propreté.
C'est engagé, donc, mais ce n'est jamais pontifiant. Car à cela s'ajoutent l'énergie du saxophone de Rudi Thompson et la pugnacité de la guitare de Jak Airport. Ces thèmes, aussi, sont traités avec humour et dérision, via des jeux ambigus avec le sens comme avec "Let's Submerge", un titre qui peut être interprété comme une exhortation à rejoindre l'underground musical, ou au contraire, comme une invitation ironique à se perdre dans l'enfer de ce métro ("underground" en anglais) où déambulent les zombis de la société moderne. Voilà donc, au final, le meilleur disque militant qui soit.
Populaires dans leur pays, Poly Styrene et X-Ray Spex auront le tort de ne pas perdurer longtemps et de ne pas être distribués aux Etats-Unis, manquant par moments la reconnaissance méritée. Ils n'en ont pas moins été décisifs pour la suite. Le style vocal et engagé de la chanteuse influencera les futures rockeuses punk, en particulier celles de la mouvance riot grrrl. Et bien plus tard FKA Twigs dira de Germ-Free Adolescents qu'il est son album préféré. Et pour cause, il est l'un des plus remarquables de cette époque du rock anglais.
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