Les dix années qui séparent 1995 de 2005 sont celles de l'ascension pour Three 6 Mafia. Au début de cette période glorieuse, ils ne sont qu'un groupe obscur issu d'une scène marginale et périphérique, connu surtout pour avoir pris en grippe Bone Thugs-N-Harmony. Mais à son terme, ils sont des gens oscarisés, installés au premier plan de la scène rap.
Cette progression, toutefois, ne s'est pas faite sans changements ; ni même, selon les plus acharnés du rap de Memphis, sans compromission. Le registre horrifique s'est effacé. Le son s'est arrondi et il s'est professionnalisé. Et à l'heure du triomphe, celui de l'album très justement intitulé Most Known Unknown, ce n'est plus tout à fait le même groupe.
Da Unbreakables est l'avant-dernière étape de cette transformation. Le sextet, qui sera bientôt réduit aux seuls DJ Paul et Juicy J, est alors devenu un quartet après les départs de Gangsta Boo et de Koopsta Knicca. Et le registre crunk / club prend désormais le pas sur l'horrorcore, avec quelques sons électroniques entêtants comme sur "You Scared Part II", et une suite d'hymnes sauvages tels que ce "Fuck That Shit" où il est question de tout ravager dans la discothèque et de s'y adonner à tous les vices : sexe, drogues et bastons.
Car si la Mafia du 666 est moins sataniste, ses membres restants ne sont pas pour autant devenus sages. La brutalité et le sexe sans sentiment sont toujours à l'ordre du jour. Pour le constater, il suffit d'écouter d'entrée l'excellent "They Bout To Find Yo Body" ("ils vont bientôt trouver ton corps"), ou de jeter un œil à la tracklist et d'y trouver des titres tels que "Let's Start A Riot" et "Beat'em To Da Floor".
Les rappeurs de Memphis sont toujours du côté du Mal. Ils sont ces garçons immoraux qui font l'apologie du meurtre et du proxénétisme ("Wolf, Wolf!", "Like A Pimp"), préconisant au passage de frapper les femmes. Ils exaltent la drogue sur "Rainbow Colors" et "Bin Laden" (pas le terroriste, mais une herbe à son nom). Et ils agressent mesquinement leur ex-compère Koopsta Knicca ("Money Didn’t Change Me").
De même, ils sont toujours très bien servis par les beats de Juicy J et de DJ Paul, par cette production riche en bangers retentissants comme "Ridin' Spinners", un hymne dédié aux jantes de leurs bagnoles et entonné avec Lil' Flip, ainsi que ce mémorable "Put Cha Dick In Her" où, entre autres joyeusetés sur le même thème lubrique, Lord Infamous énumère sans vergogne les diverses manières de s'adonner à la turlute.
Ils sont ces gangsters infaillibles et inarrêtables qu'ils vantent sur le revanchard "Testin’ My Gangsta", avec son sample funky tiré du film The Mack. Si l'on doit être honnête sur les défauts de cette sortie, ils sont même en pilotage automatique, débitant platitude sur platitude, et faiblissant au centre de l'album avec les titres libidineux "Ghetto Chick" et "Shake Dat Jelly". Cependant, dix ans après leurs débuts, ils sont indestructibles. Oui, tout comme le titre le claironne.
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