Il y de nombreuses raisons de respecter Masta Ace. On peut l'honorer pour sa longévité, notre homme ayant été l'un des rares rappeurs des années 80 à être resté pertinent sur plusieurs décennies. On peut le révérer en tant que membre historique du Juice Crew de Marley Marl. On peut l'apprécier pour sa probité et sa crédibilité, son regard circonspect sur la commercialisation du rap et son ironie envers ses excès gangsta en ayant fait une idole underground. On peut l'aimer, aussi, pour avoir souvent conçu ses opus comme des touts homogènes et cohérents, à travers ses albums concept.
A Long Hot Summer est l'une de ces œuvres. Faisant suite au très prisé Disposable Arts, l'album qui l'a remis en selle (auprès de la critique, tout du moins) après plusieurs années d'absence, il en est le préquel. Alors que le disque de 2001 nous parlait d'un type libéré de prison en route pour une école de rap, celui de 2004, sorti pour la première fois sur le propre label de Masta Ace, M3 Records, nous raconte le long été qui a précédé l'incarcération du même personnage.
Le temps plusieurs skits mis en scène sur la musique de Charles Mingus, il nous relate ses aventures avec Fats Belvedere, un gangster italo-américain qui l'entraine dans ses combines. Et avec ces histoires, c'est toute la vie de Brooklyn, de New-York ("Big City") et de l'Amérique noire, que Masta Ace nous dépeint. Tout comme Mobb Deep, et avec l'acolyte historique du duo, Big Noyd, il nous parle de la jungle urbaine sur "Do It Man". Il se fait chroniqueur social et chantre du ghetto ("H.O.O.D."), avec de l'amour, parfois ("Beautiful"), mais également de l'ironie et de l'amertume.
L'amertume, on la perçoit souvent sur l'album. Sur "F.A.Y.", avec Strick, le rappeur a envie de tout envoyer balader dans sa vie ratée. Sur "Wutuwankno" et "Revelations", il livre ses états d'âmes d'artiste vieillissant. Et sur ce "Good Ol' Love" très joliment produit par 9th Wonder, un Masta Ace résigné réclame de l'amour pour sa pratique intègre et authentique du hip-hop. Celle-là même qui, en dépit de son pédigrée prestigieux, le cantonne pour toujours à l'underground.
A Long Hot Summer c'est surtout, au-delà des histoires de quartier, un moyen pour le rappeur de rendre ses comptes. Avec des labels qui passent leur temps à planter des couteaux dans le dos selon "The Ways", et avec un métier qui n'a rien de glamour d'après "Da Grind", un art qui se révèle n'être qu'une galère parmi d'autres, malgré les groupies et les coucheries en tournée dont parlent Masta Ace et ses potes sur un "Travelocity" joyeux, ludique et à contre-courant.
A Long Hot Summer ne changera rien à l'affaire. Cet album ne connaîtra pas plus le succès que les autres. Comme eux, il se contentera du respect de la critique. Avec les contributions de DJ Spinna, Jean Grae, 9th Wonder et son protégé Khrysis, Wordsworth, voire celle du Croate Koolade, avec ses boucles arides et ses nombreux samples, son esthétique est trop classique, trop underground. Il y a des exercices de style, tels que ce "Soda & Soap" qui joue avec des marques de boissons, qui ne plairont qu'aux puristes du hip-hop.
Pourtant, quelques titres auraient pu être des tubes, comme ce "F.A.Y." dont le beat rappelle du vieil Eminem. "Bklyn Masala" est une jolie histoire à propos d'une rencontre amoureuse avec une Pakistanaise (qui semble plus hindoue que musulmane, mais bon, on sait le peu que les Américains connaissent des autres pays…). Et "Revelations" est une conclusion réussie sur la motivation d'un artiste sans succès.
Disposable Arts s'achevait par un titre, "No Regrets", qui laissait entendre que Masta Ace raccrocherait le micro. Mais que nenni. Avec A Long Hot Summer, alors presque quadragénaire, il lui offre un successeur tout aussi remarquable. Voire, parce qu'il est plus condensé, sensiblement supérieur.
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