Pour une sensation passagère, il dure, le Duke Deuce. Dans un premier temps, il est apparu comme le seul protagoniste d'un improbable revival crunk, mais depuis, il a étendu son spectre pour devenir quelque chose de plus grand : le porte-étendard de la scène rap de Memphis, le défenseur le plus ardent de son imposant patrimoine hip-hop. Il est celui qui rappelle tout ce que l'histoire du rap lui doit, et ce dès le tout premier titre de sa dernière "mixtape", quand il signale que le triplet flow des Migos vient en vérité de sa bonne ville.
Avec ce troisième volet de la série des Memphis Massacre sorti pour Halloween l'année passée, juste après son premier album officiel Crunkstar, le rappeur investit une autre tradition musicale de l'endroit : cette déclinaison du genre horrorcore par laquelle, au milieu des années 90, Three 6 Mafia et tous les autres ont commencé à se faire connaître. Et tiens, après son comparse Juicy J sur l'album précédent, l'un des membres les plus éminents de ces derniers, DJ Paul, fait une apparition sur "What You Rep", au côté d'autres invités issus exclusivement des lieux comme Big Moochie Grape, Hitkidd à la production, et quelques autres moins connus.
Sur Memphis Massacre III, Duke Deuce est donc un individu maléfique. Il nous présente son nouveau personnage, Deucifer, sur le titre du même nom, avec le renfort des voix lyriques fortes et exaltées d'Opera Memphis (une seule personne ? L'opéra de Memphis pour de vrai ?), et sur une musique de film d'horreur. Avec leur ambiance lugubre et leurs paroles brutales ou pornographiques, des titres comme "Mr. Memphis Massacre" et "Black Ops" nous ramènent là-bas, dans la noirceur et la violence démoniaques des années 90.
Duke Deuce s'autorise néanmoins quelques répits. Le crunk n'est jamais loin, comme avec les chœurs furieux du single "Anna" (un diminutif pour "animosité"), et le dancefloor est totalement de retour sur "What's My Name". Avec "Riverside", au moment même où la mixtape connaît un coup de mou, il laisse même toute la place à Glockianna, une très jeune rappeuse à la langue bien pendue. Et puis il y a cette conclusion chantée et atypique, "Nobody Needs Nobody".
Et tout cela, c'est malgré tout toujours du Duke Deuce, reconnaissable entre mille avec son rap à la fois humoristique, enjoué et agressif, les adlibs retentissants "ayy-ayy" et "what the fuuuuck", son recours constant au call and response dans des refrains tout en chœurs sauvages, et même un peu de confessions sur sa vie pas si facile, sur "Deucifer" et sur "Nobody Needs Nobody", quand il parle des traumatismes de l'enfance et qu'il rend hommage à Young Dolph et Lil Keed.
Duke Deuce n'est pas qu'un revivaliste. C'est de la meilleure des façons qu'il honore Memphis : en faisant du rap neuf avec ses vieux sons, et en lui offrant un autre personnage.
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