Curieux retournement que celui qu'a connu le metal ces dernières décennies. Il fut un temps où c'était le genre honteux par excellence, celui des demeurés et des asociaux. Mais depuis qu'être nerd est devenu cool, il fascine les hipsters. Il est ce qui reste vivant et captivant de l'antique rock, dont il est presque devenu un genre parallèle et dissident, plutôt qu'un composant. Il faut dire qu'il y a mis du sien. Prenons donc l'exemple de Deathspell Omega, depuis vingt ans peu ou prou, les enfants chéris français de la scène black metal.
Autrefois, on faisait du metal pour la célébrité, mais ce groupe au contour flou, dont on sait juste qu'il serait de Poitiers, cultive l'anonymat. On ne connaît pas ses membres, aucune photo ne circule et il ne se produit pas en concert.
Avant, on invoquait Satan par provocation, mais avec ces gens qui ont lu la Bible et les écrits de Georges Bataille (et non "George Bastille", comme lu dans une critique en anglais, ah ah), le satanisme est une philosophie. En plus de se dire suppôt du diable ou apôtre de Lucifer, on questionne le manichéisme imposé par la croyance en Dieu, cet idéal de perfection qui nous invite à haïr et rejeter notre humanité.
Les membres de Deathspell Omega ne font pas vibrer leurs basses, tonner leurs batteries et rugir leurs guitares pour devenir riche ou pour draguer les filles. Ils ne dégorgent pas leurs borborygmes infernaux (en anglais, en français, en latin) pour le seul plaisir de paraître méchants. Ce sont des intellos, des lettrés, des avant-gardistes, qui doublent leurs compositions bruyantes et audacieuses de textes ésotériques, érudits et référencés, de passages de l'Ancien et du Nouveau Testaments, ou de citations de Léon Bloy, entre autres.
Dernier volet d'une trilogie entamée en 2004 avec Si monvmentvm reqvires, circvmspice et poursuivie avec Fas – Ite, Maledicti, in Ignem Aeternum, l'album Paracletus (du grec "parakletos", le consolateur, à savoir le Saint-Esprit) confirme cela. Sorti en 2010, il finit la série en beauté. S'y expriment toute la virtuosité et tout l'expérimentalisme du groupe, comme avec cet assemblage imprévisible et inconfortable qu'est le bancal et complexe "Wings Of Predation".
Néanmoins, c'est accessible. C'est très séduisant. C'est même franchement magnifique quand, sur "Abscission", les voix et les batteries s'affolent, quand les guitares s'engagent dans de splendides envolées. Ça l'est quand le motif mélodique qui plusieurs fois traverse l'album, s'ouvre, se déploie et se sublime sur le sompteux "Epiklesis II", puis sur un "Apokatastasis Pantôn" encore meilleur, apothéose parfaite d'un album qui est lui-même l'apothéose parfaite d'une trilogie.
Presque parfaite, plutôt. Car quelques titres sont dispensables, comme "Malconfort". Mais ils sont peu nombreux.
Paracletus est un album remarquablement construit qui, en dépit de son emphase et de sa gravité généralisée, contrôle parfois sa fureur. Le déchainement de morceaux qui cassent les oreilles, tels que "Devouring Famine", s'interrompt parfois au profit de guitares plus claires et plus contemplatives. C'est le cas par exemple du début de "Dearth", quand les grommellements et les cris se transforment en spoken word, et que la frénésie de la musique laisse place à de superbes compositions qui évoqueraient presque le vieux post-rock.
Le post-rock, justement, ce rejeton expérimental de l'indie rock apparu dans les années 90, voici ce que les explorateurs du metal ont fini par totalement remplacer, voilà celui à qui ils ont presque volé le public. Car au XXIème siècle peut-être, sous l'œil du malin, seules les guitares de groupes tels que Deathspell Omega méritent encore d'être écoutées.
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