Les années 90 sont celles où l'indie rock a quitté les marges pour devenir la nouvelle musique consensuelle. Elles sont le moment où il a fini par être son contraire, le classic rock. Telle a été alors son histoire, pour le meilleur et pour le pire. Et du côté du meilleur, il y a eu Built To Spill. Au terme d'une décennie lancée dans la fureur par Nirvana, a sévi donc un groupe comme eux, issu du Nord-Ouest américain, doté d'une ferme éthique underground mais signé en major, issu du punk mais nourri d'influences antérieures, très inspiré par ce vieux rock autrefois honni par l'underground.
Ces influences, Doug Martsch (le seul pilote et l'unique passager permanent du véhicule qu'est Built To Spill) les admet plus ou moins directement sur un titre du troisième album de son groupe, "You Were Right". Vous aviez raison, ne cesse-t-il de répéter, citant les propos pessimistes et déprimants de plusieurs grosses figures du rock-à-papa, Neil Young, Kansas, Pink Floyd, Jimi Hendrix, Rolling Stones, Bob Dylan, Bob Seger, John Mellencamp, puis enfin Doors.
You were right when you said all that glitters isn’t gold
You were right when you said all we are is dust in the wind
You were right when you said we’re all just bricks in the wall
And when you said manic depression’s a frustrated mess
You were right when you said you can't always get what you want
You were right when you said it's a hard rain's gonna fall
You were right when you said we're still running against the wind
Life goes on long after the thrill of living is gone
You were right when you said this is the end
Son école de rock a longtemps prôné le dépouillement et la simplicité, mais cette époque est révolue de longue date quand sort Keep It Like A Secret, en 1999. Doug Martsch, lui, aime s'engager dans de longs jams avec son instrument.
D'épiques solos de guitare jalonnent des morceaux sujets aux changements de tempo, tels que "Time Trap". Des intermèdes instrumentaux s'insèrent dans les chansons, imprévisibles et bancals à la mode de Pavement sur l'introductif "The Plan", ou bien splendides et élégiaques avec la fabuleuse conclusion de "Broken Chairs". Ces arpèges prennent le pas sur des paroles économes faites de considérations philosophiques cryptiques, comme sur "The Plan", que l'on devine s'inscrire dans une relation amoureuse compliquée.
Qui plus est, le chanteur et guitariste ne semble plus avoir peur du succès. Keep It Like A Secret est le deuxième album du groupe chez Warner, mais il sonne comme le premier.
Son association à la scène de Seattle, le succès critique de There's Nothing Wrong With Love et sa présence au festival Lollapalooza l'ayant mis sous les projecteurs, Built To Spill a été signé dès 1995. Mais Perfect From Now On, sa première œuvre chez sa nouvelle maison de disque, n'avait pas grand-chose d'un album de major avec ses longues compositions. Doug Martsch, semble-t-il, avait exploité pleinement une clause du contrat qui lui garantissait le contrôle artistique.
Cependant, cela est corrigé avec le suivant. Le groupe devient plus stable, Brett Nelson et Scott Plouf étant intronisés membres permanents. Ses structures musicales sont plus courtes et plus simples. Tout en tirant encore profit des solos de son leader, omniprésents, les morceaux de Built To Spill prennent la forme de singles radiophoniques, tournant autour des trois ou quatre minutes, à l'exception notable du finale "Broken Chairs", absolument somptueux on l'a dit.
Certaines chansons sont de pures petites pièces de pop, comme le single "Center Of The Universe", ou bien "Carry The Zero", ce joli titre devenu le plus populaire du groupe, aujourd'hui le plus écouté sur les plateformes de streaming. D'autres, comme "Else", dévoilent de douces ballades venues s'intercaler dans le chaos des guitares, ou bien une suite impromptue de mélodies, comme sur "Temporary Blind".
S'il y a un secret sur Keep It Like A Secret, il ne cherche qu'à s'éventer. Il s'agit, en effet, de l'album le plus accessible de Built To Spill. Il est aussi son plus grand succès, le premier classé au Billboard après sa sortie. Il est encore meilleur que ses deux classiques de prédécesseurs. Intégralement bon, il est un immense disque de rock toutes catégories, quelle qu'en soit son école, quel qu'ait été son rapport au succès.
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