L'accueil réservé à son dernier album le montre une fois encore : Vince Staples est aujourd'hui un rappeur reconnu. Il bénéficie à chaque fois des égards de la presse, spécialisée ou non. Il faut dire qu'il a tout pour cela, à commencer par ce détail loin d'être trivial : il est soutenu par une major. A son actif, il y a aussi cette musique complexe et variée, ce rap post-moderne qui s'affranchit d'autant plus des genres qu'il est produit par une assemblée de poids lourds issus de plusieurs horizons, tels que DJ Mustard, DJ Dahi et Kenny Beats. Il y a également ses paroles à forte teneur sociale, où prédomine une approche froide et critique de ses sujets.
Vince Staples nous dit la même chose que le gangsta rap générique que d'autres nous délivrent à la chaîne : à savoir qu'il est un produit de son environnement. Tout ici, est ancré dans son quartier, celui de Ramona Park à Long Beach. Tout se rattache à ses origines californiennes, comme la production de DJ Mustard sur le single "Magic", comme ces influences g-funk qui se traduisent par une musique organique riche en basses et par un morceau intitulé "DJ Quik".
Comme tous les autres, le rappeur nous dit que la dureté du quartier l'a façonné, que la rue est sa mère ("Mama's Boy"), qu'elle l'a anesthésié, qu'elle l'a rendu imperméable à la passion et aux sentiments. "She said she in love, what's that?" s'interroge-t-il sur "Rose Street". "Elle dit qu'elle est amoureuse, c'est quoi ça" ? Vince Staples le dit d'entrée sur ce titre : il ne chante pas de romance. Il n'apporte de fleurs à personne, sinon aux tombes de ses amis morts. Il n'a pas d'amour, sinon pour son flingue sur "When Sparks Fly", voire pour les Crips et pour les Bloods, d'après "Magic".
Bref, ce rappeur est comme les autres. Mais avec lui, avec sa voix engourdie et sa musique fantomatique, l'humeur est en berne, le pessimisme est de rigueur. Ses problèmes, Vince Staples les regarde bien en face. Contrairement à ses pairs, il ne masque pas ses troubles derrière des murs d'argent ou l'arrogance du bandit. Pour les fuir, il ne se lance pas dans une course éperdue vers le plaisir, les excès et le nihilisme.
Non, il dit les choses telles qu'elles sont, clairement et promptement, comme sur "Magic" : "momma met my daddy, then they had me in the ghetto, handed me a .38 and told me I was special". "Maman a rencontré papa, ils m'ont eu dans le ghetto, on m'a donné un calibre 38 et on m'a dit que j'étais spécial". Voilà donc. Tout est dit. Fin de l'histoire.
Ce qui lui vaut la reconnaissance, ce sont ces paroles plus intelligibles que cette collection de punchlines auquel se résume l'autre rap. C'est sa façon de détourner les standards gangsta, ou plutôt de rendre leurs messages plus explicites, quand l'hommage aux amis morts ou incarcérés sur "AYE! (Free The Homies)" se transforme en reportage social, quand le titre sur le quartier le dépeint comme une prison ("Lemonade"), quand celui sur les filles que l'on baise sans aimer sonne comme une tragédie ("Player's Ways"), quand l'hymne aux billets est tout sauf triomphateur ("Papercuts"), quand le vieux slogan de DJ Quik, "If it don’t make dollars, it don’t make sense" ("si ça ne fait pas d'argent, ça ne fait pas de sens"), semble être lui-même dépourvu de signification.
C'est cette approche distante de ses sujets, cette austérité toute protestante marquée par ce phrasé apathique, cette posture adulte, ce "gangsta rap conscient", qui lui apportent, pour le meilleur et pour le pire, la considération des médias.
Celle-ci, toutefois, n'est pas volée. Plusieurs extraits de cet album le prouvent avec brio. D'autres avant Vince Staples ont enregistré des odes à leurs guns, mais "When Sparks Fly" est particulièrement réussi avec son sample du "No Love" de Lyves, ses sonorités éthérées et ses paroles à double-sens. Le titre suivant, le tout aussi cotonneux "East Point Prayer", est une rencontre parfaite entre Los Angeles et Atlanta, Lil Baby apportant sa propre perspective au thème de Staples : la lutte contre l'adversité, la réussite malgré tout. Quant à "Rose Street", il s'agit de la parfaite anti-chanson d'amour.
Comme quand il s'est inspiré du souvenir de l'été 2006 pour enregistrer son premier opus officiel, aujourd'hui encore son grand chef-d'œuvre, Vince Staples est le plus marquant quand il se penche sur son passé. Cet album placé sous le signe de son quartier de Ramona Park en témoigne. En effet, il pourrait être son meilleur depuis Summertime ‘06.
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