Voici un accord, en voici un autre, en voici un troisième. Maintenant forme un groupe.
Ce fameux adage punk, qui érige l'amateurisme musical en vertu cardinale, les Adverts ont respecté. Sur leur premier single, ce "One Chord Wonders" qui tourne en dérision leur absence de virtuosité, ils déclarent même ne connaître qu'un accord. Ils s'en amuseront encore quand, lors d'une tournée avec leurs compagnons de label, une affiche déclarera :
Les Damned savent jouer trois accords, les Adverts savent en jouer un. Venez les écouter tous les quatre.
Mais c'est aussi pour cela, parce qu'ils se sont limités à ce strict minimum, parce qu'ils ont compté encore plus que d'autres sur la vélocité de leurs chansons, la simplicité de leur approche, le bruit exalté des guitares et leur ardeur juvénile, qu'ils ont été, en 1978, le groupe punk quintessentiel.
En effet, pas de grand engagement social ou politique chez les Adverts. Pas de scandale médiatique comme chez les Sex Pistols. Sur leur premier album, seul "Great British Mistake" ressemble à un pamphlet contre la société britannique. Et encore, il est conjugué pour moitié à la première personne.
T. V. Smith donne parfois dans l'outrage et le malsain, comme avec leur single le plus emblématique, "Gary Gilmore's Eyes", à propos d'un meurtrier qui a fait don de ses yeux à la science. Mais ce qui inspire ce groupe apparu sur la scène du Roxy Club, repéré par Brian James des Damned, puis signé sur Stiff Records, c'est le thème premier du mouvement punk : le malaise de l'adolescence, l'arrivée dans l'âge adulte d'une génération sans perspective. C'est ce qui nourrit les paroles de T. V. Smith. C'est ce dont parle un autre de leurs hymnes, "Bored Teenagers". C'est ce dont traitent, plus ou moins ouvertement, l'ensemble des titres de l'album.
Sur "New Church", le chanteur dit s'affranchir de la masse, pour ne plus suivre que ses envies. Il manifeste le même désir de libération sur "New Day Dawning" et "No Time to Be 21". Et sur un autre single, "Safety in Numbers", avec le pessimisme consubstantiel au punk, il jette un regard désabusé sur le mouvement auquel il appartient, qu'il dépeint comme un nouveau conformisme qui ne changera rien.
En bon teenager, le chanteur passe de l'exaltation à la noirceur, celle par exemple de "Drowning Men". Même "Gary Gilmore's Eyes", un peu hors-sujet avec son histoire de patient transplanté qui se réveille avec les yeux d'un autre, joue avec des passions et des sentiments juvéniles : l'anxiété, l'humour, le goût pour le sordide, la fascination pour l'horreur.
Dans la foulée de "One Chord Wonders", les Adverts déroulent, animés par un feu sacré, une suite continue d'hymnes extatiques faussement je-m'en-foutistes et véritablement angoissés. Très courts, ils se succèdent à un rythme infernal dans le bruit des guitares, avec toutefois quelques surprises et variations, comme les changements de tempo de "On The Roof", "New Boys" et "Bombsite Boy", ou bien ce "On Wheels" qui a comme un avant-goût de post-punk.
A ces atouts, s'ajoute le travail du producteur John Leckie. Et puis bien sûr, pour ne rien gâcher à l'ensemble, en plus des paroles de de T. V. Smith, il y a sa compagne Gaye "Advert" Black, dont la basse proéminente propulse chacune des chansons, et qui alors, avec son look noir mais photogénique, définit ce à quoi doit ressembler une femme punk.
En plus de cette matière première de choix, il y aura les rééditions futures de Crossing The Red Sea With The Adverts. En changeant la pochette comme le tracklisting, en ajoutant les versions radio ou live des singles et des morceaux qui n'y figuraient pas à l'origine, elles amélioreront encore la qualité et la richesse de la sortie originale, de cet unique classique d'un groupe vite disparu, mais qui a eu le temps d'offrir au punk anglais l'une de ses meilleures pièces.
PS : ci-dessous la pochette de l'indispensable réédition.
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