La carrière de Kodak Black se résume tout entière à cette contradiction : il est, de loin, l'un des rappeurs les plus importants de ces dix dernières années, son nom devrait être sur toutes les lèvres, et comme il le dit sur un single récent, il aurait dû être une superstar, mais sans cesse, le jeune homme est rattrapé par ses démons. Dying To Live en est la traduction. Son deuxième album officiel, de fait, a été un succès. Il a été en tête du Billboard. Mais au même moment le rappeur de Floride, sorti tout récemment de prison, était empêtré dans une très regrettable affaire d'agression sexuelle qui, en toute logique, allait durablement entacher son image.
L'album même est le résultat de ces tensions. Dans une large mesure, Kodak Black tente ici de séduire le grand public, il ratisse large. On trouve ici "Gnarly", un hymne à la fête, aux drogues et aux filles très ouvertement pop. Sur le plus grand tube de l'album, "ZEZE", il mène grand train avec ses deux invités de prestige. Sur l'enjoué "Identity Thief", il se réjouit de sortir de prison et de renouer avec ses bonnes vieilles habitudes. Et pour le soutenir dans ces morceaux qui se veulent accrocheurs, Kodak Black sollicite les invités qui devraient élargir son audience. Ces derniers sont en effet les hommes du moment, la classe 2018 du rap américain : Lil Pump, Travis Scott, Offset et Juice Wrld. A ceux-là il faut ajouter, indirectement, à travers l'hommage qui lui est rendu sur "Malcolm X.X.X", son ancien collaborateur et ami XXXTentacion, un autre rappeur culte et polémique de Floride, dont la mort récente vient alors de faire une icône.
Kodak Black, lui, est toujours vivant. Il meurt même d'envie de vivre, d'après le titre de l'album. Mais la vie lui laisse peu de répit, comme le signifie l'autre versant de ce projet, le plus noir, le plus introspectif et le plus personnel. Un boulevard aurait pu s'ouvrir devant le rappeur, mais toujours la réalité, la dure réalité, se rappelle à lui. Sur des sons plus lents et pesants, Kodak Black nous fait part de ses douleurs. Il se livre, il s'épanche, il parle de lui sur un ton triste, comme avec la trap music à guitare de "Calling My Spirit". Il dit qu'il manque quelque chose à son bonheur, sur le piano pensif de "Needing Something". Il fait part d'un grand désordre sentimental avec "From the Cradle", une chanson d'amour exclusif, mais dédiée à Kayla, Jayla, Karen, Alexis, Chelsea, Tara, Cazzie, Ayy et Twanisha, soit toute une ribambelle de femmes.
C'est un homme déchiré qui s'offre à nous. Déchiré entre l'envie de succès et le désir de rester lui-même (à savoir un bandit), sur "This Forever". Déchiré entre la tentation du péché et la volonté de rédemption, d'après "Testimony", un titre où, renouant avec l'éternel fond religieux des musiques américaines, Kodak Black prétend être tout à la fois un envoyé de Dieu et la semence du démon. Le rappeur est aussi écartelé entre la vie et la mort. Tantôt, sur "In The Flesh", il en appelle à la résurrection. Tantôt, submergé par un chagrin d'amour, il est tenté par le suicide, comme le signifie "Close to the Grave", le morceau le plus intense de Dying To Live.
Au bout du compte, cet album a les défauts de ses qualités. Les tubes grand public ont rempli leur rôle, ils ont amené de nouvelles personnes au rappeur, mais ils jurent quelque peu au milieu de toutes ces confessions, tant musicalement qu'au niveau des paroles. Les morceaux à plusieurs ressemblent plus souvent à ceux des invités qu'au registre coutumier au rappeur. Cette hétérogénéité, à vrai dire, le Floridien y est habitué. Les sorties de Kodak Black sont toutes incontournables ou presque, mais chacun de ces albums, chacune de ces mixtapes, est aussi un matériau composite, inégal et mal agencé. Et Dying To Live n'est pas une exception.
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