Peu de médias diront que cet album est l'un des meilleurs de 2022, à ce jour. Non pas parce qu'ils ont mauvais goût, ou qu'ils sont de mauvaise foi. Mais tout simplement parce qu'ils refusent de parler d'un personnage connu pour d'inqualifiables faits d'agression sexuelle. Ou bien, pour ceux qui savent qu'il n'est pas raisonnable d'ignorer Kodak Black, parce qu'ils ne peuvent se permettre d'en dire trop de bien.
Et tant pis si, pendant ce temps, un autre artiste connu pour son indélicatesse envers les femmes triomphe au Super Bowl (le principe du "too big to fail", ça ne s'applique pas qu'aux entreprises). Et tant pis si celui qui est visé ainsi par la cancel culture est en fait l'un des grands rappeurs de notre temps.
Il s'est passé dix ans depuis les débuts de Kodak Black, et sur ce quatrième album officiel, il dit qu'il est de retour. Certes, le rappeur de Floride n'est jamais vraiment parti. Son séjour en prison a été écourté par une grâce accordée par Donald Trump. Il a délivré d'autres projets long format les deux années précédentes, Bill Israel et Haitian Boy Kodak. Et il faisait encore les gros titres il y a quelques semaines, quand il s'est fait tirer dessus en marge d'une soirée organisée par Justin Bieber. Néanmoins, sorti après le succès de "Super Gremlin", l'excellent single issu d'une compilation du Sniper Gang, Back for Everything a tout d'un retour triomphal.
Comme l'annonce le morceau-titre, c'est bien de résilience dont il s'agit ici. Mais c'est aussi, avant cela, des peines et des douleurs de cet homme qui dit à maintes reprises s'assommer de drogues et qui, sur le morceau du même nom, avoue être vulnérable aux trahisons de ses amis et de ses maîtresses.
Le rappeur, l'un des représentants de ce spleen du délinquant qui, à la suite de Boosie, a fini par définir le rap des années 2010, ne fait pas défaut à ce registre. Back for Everything est un grand disque de rap mélancolique. Construit avec un nombre impressionnant de producteurs parmi lesquels figurent Boi-1da, London on da Track, Murda Beatz, Zaytoven, BandPlay et Scott Storch, pour les plus illustres, il repose sur des sons souvent calmes et posés, et parfois même atmosphériques. Et sur ceux-là, avec pour seul invité un autre dépressif de la rue, Lil Durk, Kodak Black se livre.
D'un rap douloureux et marmonné, il parle de ses malheurs. Celui qui, toute sa vie, sera le "project baby" qu'il disait être sur deux ses mixtapes, revendique et pleure à la fois l'enfermement dans son monde fait de Glocks et de "opps", comme sur le déchirant "Grinding All Season", ou sur "He Love the Streets". Il chante la faim de tout de ceux qui n'ont rien, sur les splendides piano et flûte de "On Everything".
Kodak Black se confesse longuement sur la guitare délicate de "Omega". Sur celle de "Love Isn’t Enough", il se lance dans une chanson d'amour désespéré. Sur "Take Your Back", avec Lil Durk, il implore une amante fatiguée de ses infidélités de lui revenir. Quant au fantastique "Super Gremlin", il est une lamentation sur la fin de son amitié avec Jackboy, et sur leur occasion perdue de devenir ensemble des superstars.
Ce vague-à-l'âme, cette détresse, cette rancœur même, Kodak Black l'exprime à l'égard de ce quasi-boycott qui le frappe aujourd'hui. Le titre introductif, "Let Me Know", le voit prétendre qu'il est trop gangster pour recevoir un Grammy, se plaindre d'avoir perdu face à Khalid aux MTV Video Music Awards, mais se réjouir de son indéniable influence quand Cardi B a cartonné avec "Bodak Yellow".
Il est l'artiste maudit, le héros incompris, celui qu'on refuse de célébrer à sa mesure mais dont l'influence, la postérité et déjà la légende, sont les plus grandes. Et cet album abouti, incontestablement, y apporte une nouvelle contribution.
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