Dans la foulée de LD, et plus généralement d'un grand nombre d'activistes de la scène UK drill, il est devenu normal de porter un masque quand on est un rappeur anglais. Certains sont même allés assez loin dans le délire, comme Kilo Jugg avec cette cagoule à tentacules qui lui donne des allures de Cthulhu (ou plus exactement de Davy Jones, le personnage de Pirates des Caraïbes auquel il s'identifie).
Le Londonien de Swiss Cottage cherche à se distinguer. Les masques, à l'origine, étaient destiné à protéger l'identité de ceux qui les portaient, souvent connus des services de police. Mais comme un artiste doit se faire remarquer, comme il doit se différencier de ses semblables, ce rappeur-là a travaillé ses visuels. En plus de cet attirail vestimentaire, il s'est inspiré de l'imagerie japonaise pour ses pochettes et vidéos.
Kilo Jugg aime jouer avec l'image. Mais c'est avant tout par sa musique que ce rappeur-là se distingue, comme avec Destiny Vol. 1, un album (ou mixtape) qui, en 2019, a été l'une des sorties marquantes de la sémillante scène rap anglaise.
C'est ici de la drill, mais pas que. Si parmi les trois singles qui l'ont fait connaître, "2Pack" a la brutalité et les atours abrupts de ce sous-genre, "Bye!" et "Mota" (lequel lui a valu d'être remarqué par Kodak Black) se sont montrés plus mélodiques et plus contemplatifs. Car il évolue aussi dans le registre de la trapwave, ce dérivé atmosphérique, chantonné et lent de la trap music popularisé par M Huncho. Kilo Jugg, d'ailleurs, est proche de cet autre zozo masqué et décalé.
Sur Destiny Vol. 1, il chemine à nouveau entre ces deux pôles du rap anglais actuel. Le single "Wait" est un pur titre de UK drill, avec son ton menaçant, avec ses histoires de gros sous et de drogue accompagnées d'un piano squelettique, de basses glissées et du frottement de lames de couteau. Un peu plus tard, même s'il est un cran au-dessous, le seul titre collaboratif, "Mice & Men", avec Trapx10, est dans la même lignée. Cependant, le plus souvent, Kilo Jugg chantonne d'un air absent, pour parler peu ou prou du même sujet comme sur "Baby", ou bien pour se livrer, comme sur "Skeleton", et évoquer les fantômes de son passé de délinquant.
Par moments, la machine tourne à vide. Mais à d'autres instants, c'est magnifique, notamment vers la fin de cet album, quand se succèdent le splendide "No Doubt", la guitare du "Skeleton" susnommé, puis celle de "Destiny", un morceau qui répond au précédent quand l'intéressé en appelle à un avenir meilleur au terme de son difficile labeur de trapper.
Grâce à cela, Kilo Jugg apporte un supplément d'âme à une musique qui, avec ses sonorités sèches, avec ses paroles violentes délivrées avec un fort accent anglais, avec ses incessantes histoires d'ennemis, d'argent et de couteaux, a pu dériver parfois, avec le temps, vers une formule un peu creuse.
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