Key Glock ne cesse de pleurer Young Dolph. Depuis la mort du rappeur star de Memphis, son protégé a signé "Proud", le morceau phare de la compilation Long Life Young Dolph, et il lui a rendu divers hommages, le plus marquant étant sans doute le portrait de son cousin qu'il s'est fait tatouer sur le bras. Tout cela est bien logique. On sait tout ce que Key Glock doit à son compère assassiné. Ce dernier l'a mis en avant, en sortant notamment deux albums avec lui, les très recommandables Dum and Dummer. Mais si Glock est devenu après Dolph le membre le plus éminent de Paper Route Empire, c'est aussi en raison de ses qualités propres, comme l'a prouvé en 2020 le succès de Yellow Tape, son album de référence. Comme l'a rappelé aussi un successeur apparu en novembre, quelques jours à peine avant l'assassinat de son mentor.
Key Glock a beau être douze ans plus jeune que Young Dolph, il n'a jamais été sa doublure ni son faire-valoir, mais au contraire un égal. Il a prouvé sa valeur propre en sortant ses albums tout seul, sans featuring ou presque, comme c'est le cas encore pour celui-ci, où seul est crédité le fictionnel Glizock, qui n'est autre que lui-même. Il poursuit sa route en solitaire, sûr de son fait, sur la même voie que celle où Young Dolph s'est illustré : celle de l'indépendance. Et quand on lui demande pourquoi sur le morceau "Eve", il confie qu'il n'aime pas rencontrer d'autres "négros" : "why you don’t do features? 'cause I don't like meetin' new niggas, yeah".
"I am the one and not the two", dit fièrement Key Glock sur "The 1". Il avance donc seul, en toute confiance, cumulant les fanfaronnades. Comme si la pochette n'était pas assez claire, il prétend avoir neuf voitures sur "Something Bout Me", il clame posséder six montres de luxe sur "!!! (Don’t Know Who To Trust)" et il dit avoir dix maîtresses sur "Juicemane", dont chacune est "la plus bonne". Cet album, c'est comme chez Dolph la revanche éclatante de celui qui vient de rien, le triomphe de celui qui était mal parti dans la vie. Celui qui a grandi sans parent (père absent, mère en prison) fait parfois allusion à ce passé. Il rend hommage à ceux qui l'ont élevé : sa tante morte dans son sommeil est citée sur "!!! (Don’t Know Who To Trust)", tout comme sa grand-mère, décédée elle aussi ("Eve"). Il rend compte aussi de ses addictions, celle à l'argent ("Ambition For Cash"), celle à la codéine ("U & I Know") qu'il a dû cacher à sa mère ("Bill Gates").
Mais ces malheurs, Key Glock les noie dans une suite sans fin de vantardises et de galéjades, consacrées à les faire oublier. Ses rodomontades se succèdent sans répit et sans rémission sur des morceaux de deux minutes à peine, et sur une musique étonnamment homogène compte-tenu de la pluralité des producteurs, au-delà du solide BandPlay. C'est une routine, à peine troublée par des moments plus exotiques (les flûtes médiévales de "Ambition for Cash", le reggae dub de "Can’t Switch", le mélodique "From the Bottom"). C'est une recette, relevée par des titres plus saillants qui sauvent Yellow Tape 2 de la lassitude, comme cet "Eve" minimaliste, mais qui n'en est pas moins le titre central de l'album, avec ses fissures émotionnelles.
Cette formule en roue libre, celle de Young Dolph, a toujours dû davantage à la trap music de Gucci Mane et d'OJ da Juiceman (lesquels inspirent directement le morceau "Juicemane"), qu'à la formule locale de Memphis. Mais quand on sait tout ce que ces rappeurs d'Atlanta doivent à Project Pat, ça n'est qu'un juste retour des choses, tout comme cette présence de Juicy J à la production d'un titre final intitulé sobrement et justement "Gangsta". Key Glock prend le relais de cette longue tradition locale. Young Dolph, le roi de Memphis est mort. Vive le roi Key Glock.
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