JID est parfois qualifié de Kendrick Lamar d'Atlanta. Certains s'en insurgent, ils considèrent la comparaison facile. Et pourtant, elle n'est pas infondée. Son grain de voix rappelle celui du rappeur de Compton. Et au-delà, c'est toute sa technique rapologique qui s'en rapproche, avec ce flow malléable et imprévisible qui ne recule devant aucun excès de virtuosité, avec cette aisance saisissante à jouer avec les mots.
Sa musique aussi, explose les cadres. Comme celle de l'autre, elle a un vague ancrage local. Sur le dernier album de JID, on entend les sonorités de la trap music née dans sa ville, et ce dès le premier vrai titre, le détonnant "Raydar". Mais ces routines sont bousculées. Elles sont malmenées, triturées. Ce sont des formats plus libres que l'on explore ici, avec de fréquentes virées dans le passé soul ou gospel des musiques noires, avec des ruptures de tempo et des morceaux en plusieurs mouvements, où JID met son phrasé au défi.
Comme Kendrick, pour sortir cet album complexe et ambitieux qui, jouant à plein la logique du blockbuster, convie une pléthore de collaborateurs et cherche à contenter tous les publics (ta "mama", les "hoes" et les "trappers", d'après "Raydar"), JID a pris son temps. Alors que le rappeur régional moyen va sortir un projet tous les deux mois sur les plateformes de streaming, celui-ci aura mis quatre ans à peaufiner cette sortie officielle, ne comblant le vide qu'avec ses collaborations et ses sorties collectives avec Spillage Village, tout comme l'autre s'est amusé avec la BO de Black Panther.
Ce serait d'ailleurs pour cela, à cause de cette très longue attente, parce que cela lui aurait pris "pour toujours" de venir à bout de cet opus, que le rappeur aurait choisi pour titre The Forever Story. Ainsi que pour marquer le contraste ou la continuité avec The Never Story, son premier album, enregistré alors que J. Cole venait de le prendre sous son aile.
Enfin, comme chez le petit prince du rap californien, les textes de JID ont de la substance. Les considérations sur la question afro-américaine sont là. La pochette l'annonce, qui représente la pluralité de profils de cette communauté. Il y a aussi une pincée de commentaires sociaux. C'est signifié dès le début, quand les mots des Last Poets ouvrent "Raydar".
Sur "Money", par exemple, JID rappelle à quoi on doit l'obsession des rappeurs pour l'argent : à cette pauvreté dans laquelle ils ont grandi et dont ils ne peuvent jamais vraiment se départir. La religion est là aussi, la chrétienne comme la rastafarienne, sur ce "Dance Now" qui parle des pécheurs de la rue. Et comme avec le chouchou californien, ces propos généraux se colorent de témoignages sur le vécu du rappeur.
L'exemple même est le très bon "Crack Sandwiches", où JID raconte ses mésaventures avec ses six frères et sœurs, tous embarqués dans une bagarre, avec pour arrière-plan la pauvreté de la famille dans la fameuse Zone 6 d'Atlanta. Avec deux invités de marque (Lil Durk et James Blake), il parle longuement de sa relation avec cette même fratrie, celle aux frères sur "Bruddanem", puis celle à la sœur sur "Sistanem".
Dans ce même registre intime, "Kody Blue 31" évoque la mort de sa grand-mère (les chants qu'on entend au début seraient ceux entonnés par sa famille le jour de ses funérailles). Et sur "Better Days", le rappeur se souvient d'avoir grandi dans l'indigence. L'album est rempli de ces réminiscences. Ne manque que le morceau qui devait le clore, "2007", un récit autobiographique qui comptait une contribution du père de JID, mais qui a été écarté pour des raisons de droits.
The Forever Story est donc un album complexe, dense, à multiples tiroirs, où grands thèmes et petits témoignages s'emmêlent de façon inextricable. C'est une œuvre référencée et remplie d'hypertextes, comme le montre le refrain de "Sistanem", qui s'inspire du "Rosa Parks" d'Outkast, ou l'emploi sur "Surround Sound" du sample le plus célèbre employé par Mos Def (cet extrait d'Aretha Franklin employé sur "Ms. Fat Booty"), alors que ce même Mos Def (alias Yasiin Bey) apparait sur une autre plage, "Stars".
Comme Kendrick, encore une fois, JID délivre une œuvre sophistiquée qui apporte ce qu'ils souhaitent aux médias : l'occasion de jouer aux exégètes et d'écrire de longs papiers bien sentis. Mais il contient aussi de grands moments inspirés, notamment sur la première moitié, celle des singles, celle des prodigieux "Raydar", "Dance Now", "Crack Sandwich", "Surround Sound" et "Kody Blu 31", une suite à deux doigts d'atteindre l'excellence, avant que cette Forever Story ne se perde dans son ambition, dans la mollesse de passages R&B et dans des considérations rasoir sur les aléas du succès.
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