Il y a tant de raisons de détester J. Cole. Il y a son allure proprette, son apparence de gendre idéal, ses airs d'étudiant appliqué du rap. Il y a cette neutralisation du caractère subversif et dangereux de cette musique. Il y a ce sérieux, cette fausse profondeur, cette manière de pontifier sur le cours du monde et sur sa propre personne, et parfois de (trop) bons sentiments. Franchement, de quoi aujourd'hui J. Cole est-il le nom ? De quelle école est-il le porte-drapeau ? Comment le présenter, comment le qualifier, autrement que comme une grande star et un gros vendeur ? Difficile, car il propose un rap d'après l'histoire, car il digère des décennies de musique pour les régurgiter en un ensemble tout à la fois joli et informe.
Le rock a commencé à mourir le jour où la motivation des rockeurs a changé, quand ceux qui souhaitaient tout d'abord plaire aux filles ont cédé la place aux collectionneurs de disques, quand les branleurs ont été remplacés par des esthètes qui cherchaient à émuler leurs idoles. Et il se pourrait bien que le rap suive la même pente dangereuse. Certes, cette musique a toujours été consciente de son passé. Elle est une culture du pillage, de l'emprunt et de la citation, c'est son essence. Mais jamais cela n'a été fait avec une telle révérence pour le passé, avec une telle volonté sacrée de rejoindre un panthéon, qu'à l'époque de Kendrick et J. Cole.
Cette obsession pour le passé nourrit le dernier opus de ce dernier, The Off-Season. Il y paraphrase 2Pac sur "Amari", puis le refrain de Pharoahe Monch sur le "The Life" de Styles P, sur "My Life". Il fait des allusions subtiles à Curren$y, Clipse et Three 6 Mafia sur "Let Go My Hand", puis à Chief Keef sur "The Climb Back", et il sample le "Put Yo Hood Up" de Lil Jon sur "95 South". Et sur "Interlude", il rend hommage aux martyrs Pimp C et Nipsey Hussle, qu'il compare au Christ. C'est à peu près tout le passif du rap, sans grande distinction d'époque ou de genre, que l'on retrouve parsemé sur cette œuvre. La préoccupation première de J. Cole, c'est d'arriver au bout de tout cela, c'est de consolider sa place dans cette mythologie, c'est de voir sa face sur le Mont Rushmore, comme il le dit sur "100 Mil'". Sa motivation, c'est de commenter son ascension dans la musique, et du coup, il ne fait du rap que pour parler de rap.
Cependant, ce sixième album (et sixième numéro un aux US) de J. Cole n'a pas entièrement volé son succès. Par-delà la complaisance des médias pour les grosses cylindrées, il y a un peu de vérité dans les critiques élogieuses qui lui ont été réservées. Inspiré par l'univers du basket (l'autre grande passion du rappeur), comme les pochettes de ses vieilles mixtapes The Warm Up et Friday Night Lights, son titre présente The Off-Season comme une parenthèse dans la carrière de J. Cole. Et de fait, même s'il est lui aussi un blockbuster très calculé, il se démarque.
Tout d'abord, le rappeur a cessé de vouloir tout faire par lui-même, une obsession depuis ce 2014 Forest Hills Drive qui, à tort ou à raison, est souvent présenté comme sa grande œuvre. Il cesse d'en être le principal producteur, Timbaland, Boi-1da, Frank Dukes, Jake One, T-Minus et d'autres encore lui prêtant main forte. Il avait critiqué le mumble rap sur son dernier album, KOD, mais quelques gens plus ou moins associés à cet univers le côtoient aujourd'hui, tels que 21 Savage ou Lil Baby. Une altercation l'avait opposé à Diddy en 2013, mais ce dernier est invité à dire deux mots sur le morceau "Let Go My Hand". A ceux-là s'ajoutent Cam'Ron, Bas, 6lack et l'étoile montante Morray. Et tous ces gens apportent de la vie au rap du protagoniste principal.
Toutes proportions gardées, The Off-Season est un album plus vivant et moins lénifiant que les précédents, il est plus bref et plus agressif, plus rap en somme, notre homme s'arrachant parfois au micro. Il profite aussi d'une musicalité que J. Cole, tout à ses prétentions artistiques, a toujours garanti. La manière dont il sublime les hurlements de Lil Jon sur le puissant "95 South", son interprétation possédée sur "Amari", les mélodies en guitare et flûte du même titre, ou celle du magnifique "Pride is the Devil", le recours à la voix chaude de Morray sur "My Life", ses fréquents changements de flow et d'intonation, etc. Tout cela emporte l'adhésion. Il y a tant de choses à détester chez J. Cole. Et pourtant, on n'y arrive jamais tout à fait. En dépit de tout, The Off-Season est par instants ce qu'il cherche absolument à être : un bel album.
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