Presque toujours, les majors du disque se pointent trop tard. Sauf pour les rappeurs, rares, qui connaissent la longévité artistique, elles arrivent pour la fumée des cierges, quand la personne a déjà délivré tout ce qu'elle avait dans le ventre. C'est une règle quasi universelle et Richard Morales Junior, alias Don Logan, alias Gunplay, est un cas d'école.
Ce protégé de Rick Ross, membre de son groupe Triple C's et apparu à la fin des années 2000 sur son album Deeper Than Rap, rejoint le label Def Jam en 2012. Comme le veut la règle, il commence alors à côtoyer d'autres priorités d'investissement de l'industrie du disque, par exemple Kendrick Lamar sur sa mixtape 601 & Snort, par ailleurs très bonne. Mais toute cette attention, il la doit surtout à l'année de folie qu'il a connue juste avant, quand il a sorti les deux tonitruantes sorties gratuites Inglorious Bastard et Off Safety.
Ces deux mixtapes comportent son single emblématique, un "Rollin'" d'anthologie où Gunplay est secondé par celui qui est alors l'homme du moment, Waka Flocka (ainsi, sur la version qui figure sur cette sortie gratuite, que par Rick Ross lui-même). Ce morceau, sorte de réplique du traumatisant Flockaveli, s'inscrit parfaitement dans l'époque, il capture son zeitgeist. De sa grosse voix de barbare possédé, le Floridien se hausse au niveau de ses camarades de jeu, il les dépasse en vérité. Pour quelques mois, Gunplay alliera donc la sauvagerie et la brutalité du rappeur d'Atlanta, aux vantardises de gros bonnet de la drogue chères à son protecteur.
Son entreprise de dévastation, Gunplay la commence ici, sur Off Safety, sans cran d'arrêt, dès après une intro sur les notes de Schubert et les détonations du flingue auquel il doit son nom. Et il ne s'arrête pas au puissant "Rollin'", loin de là.
Sur un "No Harm And Hammer" tourbillonnant comme un fouet de cuisine, il dit de sa voix rauque que sa "Hannah Montana" (Hanna Montana = Miley Cyrus = white girl = cocaïne : pigé ?), il la veut pure, et non coupée avec du bicarbonate de soude. Les offenses continuent sur ce "Mask On" rythmé par le cliquetis de son arme, avec sa musique de film d'horreur signée Lil Lody, le producteur de "Rollin'". Et ensuite, la bourrasque souffle toujours aussi fort, puisque le nihiliste Gunplay s'époumonne encore sur un "Junkie" très efficace avec ses changements d'octaves à la manière de Lex Luger, puis sur un autre banger encore, "Drum Squad".
Parce qu'il ne peut continuer éternellement sur un tel rythme, le rappeur le ralentit un brin sur "Skrate Up Menace", ouvrant une moitié de mixtape distincte de la précédente. Cette seconde phase est plus diverse, avec même un intermède tirant vers le reggae, l'ode à la weed "Herbalist", pour se souvenir que la famille de Gunplay, mi-jamaïcaine, mi-portoricaine, vient des îles. Mais elle est aussi moins tubesque. "She Knows Wussup", avec Gudda Gudda, puis "Wut They Yellin'", cherchent à renouer avec l'efficacité destructrice du début, mais ils sont balourds. C'est comme si Gunplay lâchait toujours tout d'entrée, pour s'épuiser après.
Tout comme avec les albums officiels qui suivront. Ceux-ci auront certes leurs moments, mais ils ne seront jamais le déluge promis en 2011 et 2012. Les drogues, sans doute, celles-là même que le rappeur déclare consommer sans modération dès ses toutes premières mixtapes, celles qui l'auront dopé dans sa période la plus faste, auront sans doute fini par le cramer. Mais il y aura tout de même eu un grand Gunplay, celui du début de la décennie 2010, celui de Off Safety.
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