Dans les années 2000, avec le triomphe du Sud, on assiste au retour du refoulé. Après le ton sombre et pausé de la décennie passée, on se rappelle soudain que le rap a d'abord été une musique de danse aux paroles légères et inconséquentes. On en revient à 2 Live Crew, et avant même, à l'époque festive des block parties. Mais avec une distinction de marque : on a retenu des années passées le parfum de scandale et l'efficacité de la posture gangsta. Comme l'a signifié 50 Cent à sa manière avec "In Da Club", l'heure des racailles lâchées en discothèque a maintenant sonné. Dès la fin des années 90, le rap de Memphis avait donné le signal, il fallait tout dévaster dans le (strip) club. Puis est survenue la braillarde crunk music, avant qu'elle ne cède la place à la snap music de D4L et Dem Franchize Boyz, plus souple, plus décontractée.
Derrière le succès de Dem Franchize Boyz, s'active alors un vieil expert en sensations rap : Jermaine Dupri. Certes, le quartet formé par Parlae, Pimpin', Jizzal Man et Buddie ne l'a pas attendu. Ces potes de lycée d'Atlanta qui se sont mis à la musique pendant leurs études en Caroline du Nord, ont déjà eu un tube dans leur Sud natal avec "White Tee", en 2004, un hymne à leurs t-shirts immaculés et à leur style resplendissant, et ils sont déjà présents chez une major du disque, Universal. Mais en les prenant sous son aile, en leur faisant rejoindre Virgin et en transformant leur morceau "Oh I Think They Like Me" en un "I Think They Like Me" irrésistible en compagnie de ses autres protégés, Da Brat et Bow Wow, notre pygmalion du rap les fait changer de dimension. Il les porte au plus haut des charts. Et il fait d'un second album gaillardement intitulé On Top of Our Game un élément incontournable de la bande-son de 2006, une œuvre qui, qu'on l'aime ou pas, sera éternellement associée à cette année-là.
C'est donc un blockbuster que sortent les quatre hommes, avec ce qu'il faut d'invités de marque (Bun B, Jim Jones, Damon Dash, Three 6 Mafia). C'est, aussi, un disque de danse. Et comme souvent dans les deux cas, c'est un album bancal porté de prime abord par ses singles. Les Dem Franchize Boyz, c'est une formule, une constante redite. L'énorme tube "I Think They Like Me" reprend exactement la même idée que son prédécesseur "White Tee" : il s'agit de jouer au sapeur étincelant. Il pousse même le vice jusqu'à le sampler. L'autre grand single de l'album, le tout aussi accrocheur "Lean Wit It, Rock Wit It", est encore fait sur le même moule, et il cite lui aussi leur premier succès. Le groupe en livre même une autre version en fin d'album, avec le "White T remix". Et tout le reste se déploie grosso modo sur un mode semblable.
La formule est répétitive. Les paroles à propos de l'argent et de la drogue sont celles d'un rap de rue mécanique et sans substance ("Bricks 4 the High"). Les thèmes sont ceux, légers et anodins, de toute musique d'adolescent qui se respecte : les bagnoles ("Ridin' Rims") et les filles, celles qui vous émoustillent ("Freaky As She Wanna Be"), et celles qu'on envoie balader ("Stop Callin’ Me"). Il s'agit, essentiellement, de rouler des mécaniques ("Give Props") et de jouer aux durs-à-cuire ("Suckas Come and Try Me", "Don’t Play With Me"). Et pourtant, l'album ne manque pas d'arguments. Les singles, en effet, ne sont pas les seuls bons titres. D'autres tels que "Ridin' Rims" sont assez efficaces, et le quartet s'assure un minimum de variété : un peu de douceur R&B avec "Freaky As She Wanna Be", avec le chant suave de Trey Songz, ou à l'inverse de violents rugissements d'inspiration crunk sur "Stop Callin’ Me" et "They Don't Like That".
Comme il s'agit d'un quartet, cependant, et d'une musique destinée à prolonger la danse, ces morceaux sont longuets. Et tout naturellement, cette musique hédoniste et amorale se fait étriller par la critique formatée au rap des années 90. Celle-ci refuse en bloc tous les plaisirs de cet album léger, et dans la foulée elle promet la disparition rapide de cette musique qu'elle juge simpliste et vide de sens. Elle aura raison, les Dem Franchize Boyz s'effaceront, et avec eux la snap music en général. Toutefois, il ne sera offert aucun répit à ce comité de défense du "vrai hip-hop". L'année suivante, Soulja Boy lui donnera encore davantage de grain à moudre.
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