A Detroit, il y a cette scène dingue autour de Peezy, Sada Baby, Babytron, BabyFace Ray et tant d'autres. Et puis il y a Boldy James. Ce dernier collabore à l'occasion avec eux. Il parle lui aussi de drogue et de choses moralement répréhensibles. Mais depuis plus de dix ans qu'il délivre ses projets avec une constance folle, il arpente un tout autre chemin. Un chemin plus ancien, plus établi, plus en phase avec ce bon vieux boom bap d'antan, un chemin qui l'a amené à être produit par Alchemist et à rejoindre Griselda Records.
Sur cette voie, son plus beau run date des années 2020 et 2021, avec la sortie coup sur coup des très prisés The Price of Tea in China, Manger on McNichols et Bo Jackson. Mais son premier album de 2022 (il y en a eu trois autres depuis…), Killing Nothing, se montre pas mauvais non plus.
Le disque est cosigné Real Bad Man, un collectif de designers de fringues basé à Los Angeles qui abrite des producteurs en son sein. Ces derniers, notamment, ont travaillé avec ce bon vieil Edan, il y a quelques années de cela. Ils ont aussi déjà œuvré avec Boldy James sur un projet intitulé Real Bad Boldy et qui, sorti au terme de cette année 2020 de feu, a été moins remarqué que d'autres. Killing Nothing cependant, leur seconde collaboration, mérite l'attention.
Du côté de paroles, certes, c'est "business as usual". Dès "Water Under the Bridge", Boldy James nous raconte une longue vie de violence qui s'interdit tout regret. Il nous emmène au cœur de ce monde interlope, où la présence de rivaux jaloux et de flics infiltrés alimente la paranoïa. C'est une litanie qui nous parle d'armes à feu ("Sig Sauer"), d'amis morts ("Hundred Ninety Bands") et d'amour indéfectible pour le commerce de stupéfiants ("Cash Transactions").
Ce sont des contes de rue et des histoires de meurtre, comme avec le storytelling de "Killing Nothing". Et si les invités complètent tout cela de leurs propres voix, il ne faut pas compter sur eux pour varier les plaisirs. Crimeapple, Knowledge the Pirate, Stove God Cooks et Rome Streetz, appartiennent à la même école que Boldy James, à cette même scène qui prolonge le rap new-yorkais d'autrefois.
Les gens de Real Bad Man se fondent aussi dans ce moule. Ils délivrent la musique suffocante, toute en boucles arides, qui convient au thème unique et au phrasé morne du rappeur. Ce sont des morceaux habillés discrètement du son jazzy idoine, un orgue léger sur "All The Way Out" et "Ain’t No Bon Jovi", un saxo sur "Bo Jack", des cuivres sur "Hundred Ninety Bands", des guitares sur tous les titres finaux.
Cependant, ces titres sont inhabituellement accrocheurs, comme avec le piano insistant de "Cash Transactions", beau comme un morceau new-yorkais des années 90, ou encore le vrombissement incessant de "Open Door", qu'agrémentent comme il le faut des sonorités impromptues et les raps sans refrain de Stove God Cooks, Rome Streetz et Boldy James. Les producteurs savent augmenter leurs motifs répétitifs de subtiles variations, comme avec l'admirable "Sig Sauer", dont la guitare insistante se garnit peu à peu de surprises et de changements, tout comme le flow même du rappeur.
Plus prodigues en morceaux accessibles, plus diversifiés musicalement parlant, Boldy James et Real Bad Man relèvent ainsi cette recette éprouvée faite d'un rap sérieux et monotone, consacré entièrement à témoigner de l'ardu métier de dealer. Peu, parmi les aficionados du rappeur, mettront Killing Nothing au sommet de leur liste d'indispensables, mais sans doute peut-on le conseiller à tous les autres.
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