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BEASTIE BOYS - Hello Nasty

Albums rap

BEASTIE BOYS - Hello Nasty

Les trois premiers Beastie Boys sont leurs albums les plus notables. Ils ont compté plus que les autres dans l'épopée du groupe, voire dans celle du hip-hop en général. Chacun, en effet, a été un nouveau manifeste, une totale réinvention.

BEASTIE BOYS - Hello Nasty

Licensed to Ill a été le phénomène que l'on sait. Il a marqué l'avènement des trois garçons blancs, et avec eux, avec leurs raps gueulards et leurs guitares hard rock, l'irruption du hip-hop dans tous les foyers américains.

Paul's Boutique, ensuite, a été l'œuvre d'art, un savant échafaudage de samples qui a relevé la réputation du trio, qui en a fait autre chose que des sales gosses au succès passager.

Quant au troisième, Check Your Head, il a ouvert grand les fenêtres, il a élargi les horizons. Avec lui, les trois rappeurs ont renoué avec leur passé de rockeurs et métissé leur hip-hop en y faisant entrer de "véritables" instruments.

Cependant, même si après ces trois albums historiques, il a en quelque sorte vécu sur ses acquis, même s'il n'a plus bouleversé le rap, le trio est demeuré très longtemps pertinent. En 1998, ce cinquième opus le démontre.

Certes, il surprend moins. Tout ce qu'on y découvre, les facéties, l'effronterie, l'aventurisme, l'expérimentalisme, l'ouverture sur le monde et sur toutes les musiques imaginables, les Beasties nous y ont habitués. Avec Hello Nasty, le trio vend toujours énormément de disques, celui-là est même numéro 1 au Billboard, mais il n'est plus à l'avant-garde du rap. Le vieux funk électrique de "Remote Control", le maniement des samples sur l'enjoué "The Negotiation Limerick File", les raps ludiques et énergiques de "Unite", sont désormais tous attendus sur un disque des Beastie Boys.

Et pourtant l'album a sa saveur particulière, distincte de son prédécesseur Ill Communication et typique de la fin des années 90. On y trouve, parsemés ci et là, ces sons drum'n'bass ("And Me"), dub ("Dr. Lee, PhD", avec rien de moins que Lee "Scratch" Perry), lounge (le piano bar de "Song for the Man") et latins ("Song for Junior", "Picture This"), alors prisés des branchouilles anglais de l'après-trip hop. Le single-phare du disque, "Intergalactic", avec son imagerie "science-fiction niponne à papa", n'a lui-même plus grand-chose à voir avec celui du précédent, l'incendiaire "Sabotage".

En 1998, le rock alternatif réveillé par Nirvana passé au second plan, le trio délaisse ses brailleries punk hardcore. A la place, il adopte le concept en vogue de rétrofuturisme, celui qui consiste à s'inspirer du futur tel qu'on l'imaginait dans le passé, à inventer une histoire alternative du hip-hop, à faire du neuf avec du vieux, comme Edan s'y essaiera peu après, plus profondément dans l'underground.

A travers les samples employés sur Paul's Boutique, via les instruments vintage déployés sur Check Your Head, les Beastie Boys ont toujours manifesté un goût pour les ambiances rétro. Mais cette fois, c'est encore plus marqué.

C'est le passé même du rap qu'ils réinvestissent avec leurs hommages à la old school sur "The Move", "Body Movin’", "Super Disco Breakin'", "Just a Test" et "Three MCs And One DJ", avec l'invitation une fois encore de ce bon vieux Biz Markie sur "The Grasshopper Unit (Keep Movin'"), avec aussi leurs raps qui se suivent et se superposent à l'ancienne, à la Run-D.M.C. Sur "Unite", Ad Rock le dit explicitement : "in the next millenium I'll still be old school". "Au prochain millénaire je serai toujours old school".

L'événement principal de cet album, l'intégration à leur équipe de Mixmaster Mike, un échappé des Invisibl Skratch Piklz, participe aussi de ce rétrofuturisme, la discipline auquel il appartient, le turntablism, s'employant tout entière à imaginer un monde alternatif où les DJs n'auraient jamais cessé d'être les stars du hip-hop, à se ménager un espace où ils ne seraient plus supplantés par les rappeurs et où les scratches occuperaient encore le cœur du jeu.

Les Beasties ne sont plus les garnements d'avant. Ils sont plus cocasses que crasses. Ils sont plus arty que nasty (le titre de l'album fait en réalité allusion à leur société de promotion, Nasty Little Man). Ils sont désormais des trentenaires qui ont découvert la sagesse bouddhiste du Dalaï-Lama et qui veulent libérer le Tibet de l'impérialisme chinois.

Les chenapans d'antan, ceux qui ne respectaient rien, se sont assagis. Ils sont féministes sur "Song For The Man", ils en appellent à Gandhi, Marcus Garvey et Martin Luther King sur "Flowin' Prose", ils pleurent la mort de leurs proches sur "Instant Death", ils dénoncent la drogue sur "The Negotiation Limerick File" et MCA délivre un joli duo chanté sur "I Don't Know", avec Miho Hatori de Cibo Matto.

Cependant, en usant à parts égales de leurs acquis, de leur histoire musicale et des tendances du moment, ils ont trouvé le moyen de bien vieillir. Malgré quelques longueurs et des titres superflus, cet Hello Nasty toujours aussi inventif et fou, soutient la comparaison avec ses prédécesseurs.

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