Hykeem Carter ne sort pas de nulle part. Après quelques années de mystère, Il s'est avéré que ce rappeur, né près de Los Angeles mais ayant grandi à Las Vegas, était le cousin de Kendrick Lamar. D'où son apparition, alors qu'il était encore inconnu, sur la B.O. de Black Panther, ainsi que sur les albums de Jay Rock et de Schoolboy Q. D'où une nomination chez les Freshmen dès 2020, après pour seuls faits d'arme les mixtapes The Sound of a Bad Habit et Die for My Bitch, et le single "Orange Soda", issu de la seconde. D'où sa participation au Donda de Kanye West. D'où ce premier album chargé en poids lourds, puisque Travis Scott et Don Toliver, en plus de K.Dot, sont de la partie. D'où, enfin, une parenté de style avec son prestigieux protecteur.
Celui qui se fait appeler Baby Keem, en effet, a en partage avec son cousin un rap très versatile. Il adopte plusieurs phrasés, plusieurs tons, plusieurs timbres même, malgré sa prédilection pour une voix chouineuse qui montre qu'il ne s'appelle pas "bébé" pour rien. Il opte pour des raps bruts et directs, comme avec le franc "family ties" (ou plutôt "Family Ties", la tracklist ne contenant aucune capitale), "vent" et le très dépouillé "south africa", mais il peut tout aussi bien chantonner, comme sur le très sexe et très club "Pink Panties", pour accompagner le refrain chipé au "Fuck… Instagram" de Che Ecru. Et quand les deux hommes rappent ensemble sur "family ties" et sur "range brothers", le plus jeune soutient la comparaison, même si, comme il le dit sur le second morceau, il a de gros souliers à chausser s'il veut suivre la star.
Baby Keem n'appartient lui non plus à aucun genre, à aucun style prédéfini de rap. Comme avec son cousin, il est un bon garçon dans une ville de fou. Les vantardises éhontées du rap de parvenu et la pose de voyou sont contrebalancées par du "hip-hop conscient", et les propos outrés sur sa soif de filles sont compensés par des passages sensibles et romantiques, comme "16". Aussi même si les sons de l'époque trap dominent, ils sont régulièrement mis à mal par une démarche presque expérimentale. Le rappeur, qui est aussi un producteur et contribue à la quasi-entièreté des sons, multiplie les surprises musicales, dès le premier titre, le très bon "trademark usa", qu'il imprègne de bruits de fond et de grosses basses à la limite de la dissonance. Il le décompose aussi en mouvements, et il renoue avec cet artifice sur "range brothers", "lost souls" et "family ties". Bref, Baby Keem est aussi arty et ambigu que son cousin.
Il s'en démarque pourtant, avec la posture qu'annonce le titre, The Melodic Blue. Ce rappeur, en effet, est plus franchement mélodique, il pousse la chansonnette. Et puisque cela va de pair, il est mélancolique, aussi, il a le blues, il est de ceux qui ont du vague-à-l 'âme à revendre. Cet album, c'est 808s & Heartbreak quand, sur "issues", Baby Keem verse dans la confession et qu'il exorcise ses démons à grand renfort d'Auto-Tune. Même chose sur "lost souls", quand il recherche l'âme sœur au beau milieu des filles perdues, sur "first order of business", quand il établit les priorités de sa vie, et sur le joli "scars", quand il questionne Dieu à propos de ses peines. Les références à Kanye sont mêmes patentes sur le plus faible "gorgeous" : son titre est celui d'un des morceaux de la superstar, et des allusions sont faites à un autre, "Heartless".
Au bout du compte, tout cela aboutit à un patchwork rap assez satisfaisant, avec un nombre idéal d'invités, un équilibre réussi entre bangers et pauses introspectives, un dosage bien senti entre légèreté et gravité. Et pour compenser ses quelques ratés, comme la collaboration avec Travis Scott "durag activity", il y a aussi une poignée de tubes assez charmants, dont "cocoa", avec Don Toliver, ou le susmentionné "scars". Comme quoi, parfois, le népotisme a du bon.
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