La personnalité à laquelle XXXTentacion a été comparé le plus souvent n'est pas un rappeur, mais Kurt Cobain, une influence qu'il a d'ailleurs explicitement revendiquée. Comme le leader de Nirvana, Jahseh Onfroy a été une idole générationnelle. Comme avec lui, les plus jeunes se sont reconnus dans son mal-être, exposé crument et sans détour dans ses morceaux. Et tandis que l'homme de Seattle a été la grande figure tragique de tout un mouvement, le grunge, le Floridien d'origine jamaïcaine aura été, à partir du morceau "Look at Me", celle de la vague Soundcloud, le plus éminent de ses rappeurs dépressifs aux visages tatoués et aux cheveux colorés. L'époque, certes, avait changé, ses démons étaient à présent ceux du rap : instabilité, délinquance et violence, comme l'ont montré les innombrables faits divers et les polémiques qui l'auront entouré, notamment l'agression scandaleuse de sa compagne, alors enceinte. Mais le malaise qu'il exprimait, cette face cachée du rêve américain qu'il exposait, étaient similaires.
A cause des paroles, de la posture et du statut, la comparaison s'impose. Elle est visible aussi dans la musique. Car XXXTentacion est loin de s'être limité au rap. On a entendu chez lui les mêmes cris, les mêmes guitares et les mêmes distorsions que chez les rockeurs grunge. Ces influences hétérodoxes étaient très visibles sur 17, son album manifeste, le premier sorti après son contrat avec Empire Distribution en 2017, un grand succès, et aujourd'hui un classique (n'en déplaise aux vieilles badernes qui, à sa sortie, n'ont pas su appréhender ce projet bâtard). Et sur le suivant, ? (ou Question Mark), le rappeur avait mis les bouchées doubles. Il s'agissait en grande partie d'une réplique de son prédécesseur, mais plus longue, plus produite et plus étoffée, avec davantage d'invités et une palette encore plus large de styles et de sonorités.
Les influences étaient encore plus diverses, encore plus éclatées. Essentiellement produit par le Californien John Cunningham, l'album délivrait ses morceaux sur le mode de l'indie rock ("ALONE, PART 3", "NUMB"), du metal ("schizophrenia") ou du punk emo ("Pain = BESTFRIEND", avec Travis Barker, le batteur de Blink-182.). Son interprète s'exprimait sur des complaintes au piano ("Changes") ou à la guitare acoustique ("the remedy for a broken heart", "love yourself"), avec des hurlements ("Floor 555"), voire sur une mélodie latine ou caribéenne ("I Don't Even Speak Spanish Lol"). Et même quand il se limitait au rap, il pouvait passer d'un bon vieux boom bap à la sauce jazz ("Infinity (888)", avec ce revivaliste en chef de Joey Badass), aux bizarreries de l'après trap music sur l'emblématique single "Moonlight", sur "SMASH!" avec PnB Rock, ou sur le dérangé "$$$", avec le rappeur de Philadelphie Matt Ox, alors âgé de même pas 14 ans.
Cet éclectisme radical a été le reproche le plus souvent adressé à l'album. Avec ses frasques et ses violences, il aura été un prétexte assez commode pour rejeter XXXTentacion. Pourtant, le rappeur avait prévenu dès la première plage : il faudrait ouvrir son esprit pour l'apprécier. Dans la même adresse, il annonçait aussi que cet opus, en dépit de sa versatilité, aurait un fil conducteur : il serait une confession sans filtre, une fenêtre sur son intimité. Et de fait, ces morceaux courts bigarrés qui s'enchainaient, traduisaient tous les tourments de l'adolescence.
On y entendait de la douleur, de la rage vengeresse et un sentiment d'anéantissement. XXXTentacion y parlait de son appétit sexuel, de sa dépression et de ses envies suicidaires, de sa détresse sentimentale et de ses peines de cœur qui ne guérissaient pas, causées par sa rupture avec Geneva Ayala, celle-là même, détail malsain et perturbant, qu'il avait frappée. Aussi, souvent, le rappeur évoquait cette solitude dont il avait tatoué le nom sur son visage, et qu'il avait exprimée déjà des années plus tôt sur le morceau "al.one", dont il livrait une nouvelle suite avec "ALONE, PART 3". Enfin, tout cela s'achevait sur un autre morceau acoustique, par un apaisement de mauvais augure, et dont le titre, prémonitoire, était "before I close my eyes".
Loin de gâcher l'album, l'éclectisme de XXXTentacion traduisait au contraire toutes ses contradictions. Il rendait compte de ses émotions chaotiques de jeune homme perturbé, du violent désordre intérieur de ce garçon qui pouvait être violent, tout autant que prévenant, comme quand il dédiait "Hope" aux victimes récentes de la fusillade qui venait d'avoir lieu à Parkland, tout près de chez lui en Floride. Le public ne s'y trompa pas, qui fit de cet album un numéro 1 aux Etats-Unis et ailleurs, et de "Sad!" le premier single posthume à parvenir au sommet du Billboard depuis le "Mo Money Mo Problems" de Notorious B.I.G., en 1997.
Posthume, car trois mois après, à tout juste vingt ans, XXXTentacion s'était éteint, dans des circonstances qui montraient qu'il était bel et bien l'enfant de la génération rap. En effet, contrairement à Kurt Cobain, et malgré ses pulsions suicidaires, il ne s'est pas ôté la vie : ce sont deux hommes armés qui s'en sont chargés, en s'emparant d'un sac Louis Vuitton rempli de billets. Mais tout comme l'autre, son décès a provoqué une onde de choc auprès de toute une génération, ultime témoignage d'un statut unique et, il faut bien le dire, tout à fait mérité.
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