Avant Reasonable Drought, peu de gens avaient entendu parler de Stove God Cook$. Aucun single, aucun fait croustillant, n'avait encore attiré l'attention sur le rappeur de Syracuse, dont l'âge approche pourtant la trentaine. Seuls les plus avertis auront découvert que, sous le nom d'Aaron Cooks, ce natif de New-York avait fait parler de lui quelques années plus tôt, qu'il avait même frayé avec quelques légendes du rap comme Lord Jamar et Busta Rhymes, et contribué plus récemment à un single de Conway. Pour les autres, il était un parfait inconnu. Et puis soudain, en 2020, est apparu cet album, qui a tout de suite bénéficié d'un préjugé favorable pour une raison simple et valide : il est intégralement produit par l'intouchable Roc Marciano.
Une trace de ce rapprochement existait déjà sur Marcielago, l'album sorti par le maître new-yorkais en 2019. Sous le nom tronqué de Cook$, notre rappeur y intervenait sur deux titres. Roc Marciano lui aurait même redonné le goût de faire du rap, après un hiatus de quelques années. Et il a bien fait, compte-tenu de la qualité de ce Reasonable Drought apparu sur le label de Busta Rhymes. Cet album, bien entendu, est dans la même veine que Roc Marciano, mais avec une voix très différente. Celle de Stove God Cook$ est plus criarde, et elle est plus versatile. Elle est prompte à changer de débit, d'intonation. Son rap est plus nerveux, moins récité sur le ton de la conversation, même si cela, la spoken poetry, il sait aussi s'y adonner à l'occasion. Et il chante, aussi, lors des refrains, allant jusqu'à reprendre la mélodie et les paroles du "Successful" de Drake et de Trey Songz sur le premier titre, "Rolls Royce Break Lights".
Comme le rappeur de Toronto, celui de Syracuse est en quête du succès. Mais son succès à lui, c'est dans le commerce de la drogue, le thème unique de Reasonable Drought, qu'il compte l'obtenir. Comme le laissait entendre le nouveau pseudonyme de Cook$ (le dieu du fourneau), il donne dans cocaine rap le plus pur. Cet homme, qui prétend avoir écrit le Coran de la cocaïne, nous décrit comment il la cuisine, comment il la pèse et la fait fructifier, comment il la vend sur le parking de l'église, comment il en tire tant d'argent qu'il doit l'enterrer dans sa cour. Il le fait avec agilité, jonglant avec les images et les comparaisons, par exemple avec des stars ou des coachs du basket, pour insister sur son habileté à préparer et à écouler sa marchandise.
En cela, Stove Good Cook$ est en phase avec son nouveau mentor. Il est un magicien des mots, à l'ancienne. Il se rattache à la vieille tradition new-yorkaise (il n'y a pas que Drake qu'il détourne sur "Successful", le "Brooklyn Zoo" d'Ol' Dirty Bastard l'est aussi, et Ghostface Killah ou Pete Rock sont invoqués un peu plus tard). Quant à la musique, elle s'avère elle aussi une héritière du boom bap, même si elle est parfois plus dépouillée, voire même dénuée de percussions ("Crosses", "Money Puddles", "Cocaine Cologne"). Roc Marciano délivre à son comparse les mêmes boucles imprégnées de samples soul et jazz que sur ses œuvres à lui. Elles sont d'une haute qualité, peut-être même plus homogène que sur ses propres albums.
En plus de tout cela, Stove Good Cook$ partage encore un autre avantage avec Roc Marciano, celui qui distingue toute la scène autour d'eux et qui en ont fait des favoris de la critique : à l'époque du streaming, ces rappeurs déjà expérimentés savent faire des albums. Ils produisent de véritables œuvres, et Reasonable Drought est indéniablement à ajouter à la liste. Il est le ticket d'entrée du rappeur dans ce monde, celui des clacissistes du rap les plus en vue, comme l'ont montré encore ses collaborations plus récentes avec Westside Gunn et Boldy James.
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