Aujourd'hui, si vous n'êtes pas présent sur les services de streaming, vous n'existez plus. Vous sortez de l'histoire, vous disparaissez de la mémoire collective. Et cela peut arriver aux plus populaires. Prenez MC Solaar, par exemple. Il a été la première véritable star du rap français. Plus que tout autre dans cette discipline, il a profité d'une visibilité internationale, d'un intérêt à l'étranger qui semblait relativement sincère, qui n'était dicté ni par un pur calcul mercantile, ni par la condescendance imprégnée de bonne conscience des ethnographes de la musique. Et pourtant, pendant un instant, le rap français l'avait presque oublié. Parce qu'il était un gentil coopté par le showbiz, embarqué dans la galère pathétique des Enfoirés. Mais aussi, parce qu'à la suite d'une longue dispute avec sa première maison de disque, plus personne ne pouvait exploiter et distribuer ses premiers disques. Cependant, depuis quelques jours, cela est résolu.
La chape de plomb s'est levée et, trente ans après sa sortie, il est redevenu possible, pour ceux qui n'avaient pas l'objet, ou pour ceux qui l'avaient égaré, d'écouter à loisir Qui sème le vent récolte le tempo. Il est faisable de se replonger dans cette époque, et d'en retrouver la saveur. Tout d'abord, celle de l'ensemble du rap de l'époque, de ce style à l'esprit très jazz, imprégné de la musique afro-américaine des années 70, comme dans le cas du single qui a propulsé la carrière de Claude MC, "Bouge de là", avec son sample mémorable de Cymande. On y retrouve aussi les origines du rap français, ces années où la scène nationale, toute petite, se confondait et faisait front commun avec celle du raggamuffin, cette autre musique de bronzés pas gaulois.
L'album, en effet, appartient autant à ce registre qu'à celui du hip-hop. La version alternative de "Bouge de là" penche de ce côté-là, et le dispensable "Ragga Jam", avec Daddy Mory, Big Red et Kery B (futur Kery James), est dédié tout entier à ce style. Le rappeur lui-même s'adonne très souvent au phrasé typique de la Jamaïque. Il part, au milieu de ses raps, dans des accélérations qui lui sont caractéristiques. Par ailleurs, il s'engage souvent dans un discours qu'on qualifierait aujourd'hui de "conscient", et où l'on reconnaît des diatribes typiquement rastafariennes contre la vile Babylone, comme dans le cas de "La devise", contre l'appât du gain. Ces derniers morceaux, avec leur banalité abyssale, ne sont pas ce qui a le mieux vieilli sur l'album.
Mais le rap, avant de devenir discours, a d'abord été un jeu. Et cet esprit ludique, datant d'une époque où le hip-hop n'avait pas encore perdu son innocence, MC Solaar y excellait. Cette sanctification du texte qui aura longtemps inhibé et plombé toute la musique française, le rappeur savait y sacrifier. Toutefois, il se conformait aussi au modèle américain, où la forme a en vérité plus souvent importé que le fond. Il jouait avec les mots, créant d'habiles associations à double-sens, en mélangeant ses divers univers culturels, celui de Claude l'étudiant modèle et celui de Solaar le jeune de son époque. Ce qui importait sur un "Matière grasse contre matière grise", par exemple, n'étaient pas les platitudes de ce long commentaire sur la politique internationale, mais bel et bien ses jeux de mots avec les noms des pays ou des dictateurs.
Célébré comme un digne continuateur des meilleurs paroliers de la chanson française, MC Solaar était pourtant, aussi, un Américain. Et la musique, produite par Jimmy Jay (et plus secondairement par Hubert Blanc-Francard, alias Boom Bass, futur pilier de la French Touch), confirmait également cela. Pas seulement pour sa couleur jazz rap, mais aussi parce ce qu'elle primait. C'est elle qui a le mieux passé l'épreuve du temps. Les trois titres phares de l'album, notamment, sont toujours aussi forts : l'entrainant et l'humoristique "Bouge de là", donc, irrésistiblement funky ; le léger "Victime de la mode", la description suavement ironique d'une fashion victim ; et surtout la somptueuse et subtile chanson d'amour "Caroline", le tout meilleur titre de Solaar, où on entendait déjà quelque chose des ambiances à venir du trip hop. Et quelques autres moments, comme le morceau-titre "Qui sème le vent récolte le tempo", un égo-trip à la fois doux et rythmé, ou "Armand est mort", qui chroniquait un drame de la vie quotidienne, méritent aussi de trouver leur petite place dans l'anthologie de Claude MC.
C'était bien là l'un des grands atouts de ce premier album de MC Solaar. Sur les meilleurs moments de ce classique imparfait, il était immanquablement français, mais il était aussi très international. Il s'inscrivait dans la tendance, mais il n'était pas bêtement suiveur. Il offrait quelque chose en plus, comme peu de gens l'auront fait dans l'histoire du rap d'ici. Et pour cela, Qui sème le vent récolte le tempo, à présent qu'il a refait surface, mérite de retrouver une place à sa mesure dans la grande mythologie du hip-hop, en France tout comme à l'étranger.
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