S'il est un homme qui, au début des années 2000, incarne le triomphe du rap sudiste, c'est bien Christopher Bridges. Il est en tout cas la figure centrale de la division que vient de lancer le grand label historique du hip-hop, Def Jam, pour surfer sur la vague. L'homme que Russel Simmons a alors placé à la tête de cette structure n'est ni plus ni moins que Scarface, des Geto Boys, et celui-ci a remarqué qu'un DJ et rappeur populaire à Atlanta connu sous le nom de Chris Luva Luva, puis Ludichris, et enfin Ludacris, a participé à l'album Tim's Bio: Life from da Bassment de Timbaland, et sorti le sien, Incognegro, avec l'aide d'Organized Noise, de Jermaine Dupri et d'un producteur alors méconnu, Bangladesh. Il jette donc son dévolu sur lui, organise un contrat de distribution avec son label, Disturbing tha Peace, et sort une version remaniée de son premier opus, Back for the First Time. Puis ensuite, Ludacris propose un album inédit.
Sur Word of Mouf, grâce à la force de frappe de Def Jam, Ludacris s'entoure d'un cortège de rappeurs qui dépasse de loin la seule ville d'Atlanta (Three 6 Mafia, Mystikal, Twista, Nate Dogg, etc...) et qui vient s'ajouter à sa propre clique (I-20, Fate Wilson et Shawnna). Même chose côté production, puisqu'aux beatmakers de l'album précédent, s'additionnent quelques notoriétés telles que Swizz Beatz, Jazze Pha, Timbaland et KLC de Beats by the Pound. Et ensemble, tous ces gens s'emploient à exploiter la totalité des divers registres qui sévissent alors au Sud.
Avec les airs de fanfares du single "Rollout (My Business)", produit par Timbaland, les basses puissantes de "Go 2 Sleep", la musique mélodique et délicate de "Area Codes", l'hymne brutal à la No Limit de "Move Bitch", avec Mystikal, le morceau hédoniste pour les clubs "Saturday (Oooh! Oooh!)", les allures de soul / funk à l'ancienne de "Keep it On the Hush", l'ode aux playas du titre bonus "Welcome to Atlanta" et quelques moments de sauvagerie intense comme sur "Go 2 Sleep", avec Three 6 Mafia, et "Get the Fuck Back", avec tout la bande de Disturbing tha Peace, Ludacris couvre l'ensemble du panel, conjugant tout cela avec une grande habileté verbale, accélérant son débit de façon impromptue, se lançant tout à coup dans un freestyle.
Mais ce que le rappeur privilégie ici, ce sont les atours les plus burlesques de cette musique, comme le montre vite cette pochette farfelue où il arbore une coupe afro disproportionnée, alors qu'à ses côtés, un chien exhibe des dents en or. Word of Mouf, qui se réfère d'entrée au fantaisiste Eddy Murphy et à son film Coming to America, est donc pour l'essentiel un album léger, festif et rigolard. Passée cette introduction démesurée bâtie sur les musiques grandiloquentes de Mozart et de Dvořák, où s'entendent des références revanchardes au passé esclavagiste, si prégnant dans le vieux Sud, pleut un déluge d'égo-trips excessifs, parsemé d'interludes comiques et aussi, pour une bonne part, de raps très portés sur le sexe.
Parmi ces derniers figurent "She Said", à propos d'une Sainte Nitouche plus dévergondée qu'elle ne le prétend, "Area Codes", un tableau de chasse de toutes les villes américaines et étrangères où Ludacris a laissé une partenaire sexuelle, et "Keep it On the Hush", où il se consacre à sa nouvelle conquête dans le dos de sa mère et de son amant. A part sur le récit de survivant "Cold Outside", ou sur un "Growing Pains" à contre-emploi, quand en compagnie de Fate Wilson, il se remémore sa jeunesse, le rappeur d'Atlanta se montre rarement sérieux.
Avec son rap jovial, désinhibé et insolent, Ludacris remplit la mission confiée par Def Jam. Il consacre la prédominance nouvelle du rap du Sud, tout autant qu'il ouvre la voie à beaucoup d'autres issus des mêmes cieux, son disciple 2 Chainz bien sûr, qu'on entendra sur son prochain album Chicken-n-Beer, son autre grand succès, mais aussi chez d'autres voyous exubérants et hilarants tels que Gucci Mane, Migos, PeeWee Longway, et d'autres encore.
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