La première chose qui marque avec Pray for the Evil, c'est la pochette, une photo en noir et blanc, sobre et frappante, d'une bonne sœur en prière, sans aucune indication de titre ni d'auteur, selon une mode observée récemment avec plusieurs projets de rap. Mais derrière, bien sûr, il y a quelqu'un : Fleeigo Delgado, alias Flee Lord, ancien protégé de Prodigy, proche de Griselda, collaborateur de Buckwild et de Pete Rock, et donc, perpétuateur d'une vieille école de rap new-yorkais. Son ascension, ironiquement, a commencé l'année de la mort de son mentor, en 2017, avec une première mixtape remarquée, Loyalty or Death: Lord Talk, Vol.1, et sa rencontre avec Conway et Westside Gunn, croisés à l'hôpital où il veillait l'ancien Mobb Deep en phase terminale. L'année suivante, on l'a retrouvé sur des sorties de ces derniers et de Benny the Butcher. En 2019, il a sorti une palanquée de projets plus ou moins remarqués. Et en 2020, après avoir été plus prolifique encore (une douzaine d'albums…), il a terminé l'année par un hommage au rappeur disparu, In the Name of Prodigy, avec l'autre Mobb Deep, Havoc.
Ce dernier, cependant, n'était pas son projet le plus marquant de 2020, lequel est donc plutôt ce Pray for the Evil sorti il y a un an pile. C'est un album sans surprise, fait d'un rap de rue à l'ancienne descendu en droite lignée de Mobb Deep, rempli d'une imagerie ghetto ténébreuse et de paroles de délinquant pas glamour. Sur un tempo plutôt lent, on y trouve des cordes classieuses ("When my Dough Come", "Ease the Pain"), des cuivres jazzy ("One Shot", "2020 Mines"), les percussions sèches et appuyées caractéristiques du boom bap, d'autres au feeling plus live ("Black G Wagon", "Steppers"), et même de bons vieux scratches, le tout surmonté de la voix rauque et abrasive de Flee Lord, la seule concession à la modernité étant ces onomatopées incessantes qui font partie du décor chez ses compères de Griselda.
Circonscrit à sept titres, lesquels dépassent rarement les trois minutes, Pray for the Evil laisse peu de place aux déchets. Et c'est là sa grande force, avec le travail opéré à la production par Mephux, un producteur de Boston déjà aperçu auprès de Conway, qui redonne ici des couleurs à la science surannée du sample. Quelques titres s'en démarquent pourtant. Comme le rappeur le prétend lui-même à la fin, au moment d'entamer le conclusif "Ease the Pain", cet album est plein de tubes. Il en compte en tout cas au moins deux : l'admirable "Still Shining" et surtout ce sommet qu'est le prodigieux "Steppers", où le rappeur est renforcé par Conway. Ils contribuent à faire de cette sortie une autre pièce de choix du revivalisme rap new-yorkais.
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