Le premier album d'Eve, Let There Be Eve..., a connu un succès phénoménal. Il a été le troisième seulement, signé par une rappeuse, à atteindre le sommet des ventes aux Etats-Unis, et le premier à le faire dès sa sortie. Si tel a été le cas, c'est sans doute pour partie en raison de ses qualités propres. Mais c'est aussi parce qu'elle a été une émanation des Ruff Ryders, le collectif emmené par celui qui était alors l'homme du moment, DMX. Eve a usé de cette carte, se présentant dans le sous-titre comme la Première Dame de la tribu, invitant ses membres sur plusieurs de ses morceaux, offrant l'essentiel de sa production à son beatmaker attitré, Swizz Beatz, et exploitant pour une bonne part leur registre, celui de la mauvaise fille pas facile, celui, pour la paraphraser, du pitbull en jupe. Cependant, désormais célèbre par elle-même, elle peut ensuite s'en affranchir sur son second album, qu'elle place sous son signe à elle, le scorpion.
Certes, Eve ne coupe pas les ponts. Swizz Beat, ainsi que les autres producteurs des Ryders Teflon et DJ Shok, sont encore très présents, de même que DMX, Drag-On et The Lox. Mais elle s'aventure cette fois sur un domaine plus vaste. Sur trois titres, elle s'arroge l'appui de celui qui, avant le succès, a bien failli être son mentor : un Dr. Dre tout juste sorti de l'aventure 2001, et qui avec Scott Storch lui offre son plus grand tube, "Let Me Blow Ya Mind". Elle franchit aussi les frontières du rap pour s'essayer à la pop, délivrant avec "Got What You Need" un titre pour le club, où elle entame sa longue collaboration avec Gwen Stefani. Eve, qui autrefois a pratiqué la soul, pousse même parfois la chansonnette, ou elle invite à le faire Mashonda, future madame Swizz Beat. Et sur "Life Is So Hard", elle accueille la diva blanche du R&B, Teena Marie.
Elle se met même au reggae, réinventant le standard "No, No, No" avec Damian et Stephen Marley. Compte-tenu de cette présence des fils de Bob, vu aussi ce panel large d'influences musicales, on ne peut s'empêcher de songer à Lauryn Hill. Mais dans ses textes, Eve demeure une rappeuse. Et plutôt que d'exposer ses sentiments et ses peines de cœur, elle s'emploie à montrer qu'elle est une maîtresse femme. Pas en jouant ni en surjouant la carte de l'érotisme comme Foxy Brown et Lil' Kim, ces autres contemporaines, critiquées de manière subliminale sur "Let Me Blow Ya Mind". Si Eve, en ancienne stripteaseuse, sait user à l'occasion de son sex appeal, elle n'en fait pas son seul argument, quand il s'agit de se dépeindre en femme forte.
Sur l'album, dominent des égo-trips triomphateurs et orgueilleux comme "Cowboy", "Got What You Need" et le tube "Who’s That Girl?". Eve affirme fièrement son indépendance et de sa supériorité sur ses paires sur "Let Me Blow Ya Mind". Elle la ramène gaillardement sur "Gangsta Bitches" avec deux autres rappeuses star, Da Brat et Trina. Styles P la dépeint en reine du ghetto sur "That's What It Is". Et elle envoie paître ses soupirants masculins, sur "You Ain’t Gettin’ None", ainsi qu'un "You Had Me, You Lost Me" inspiré par sa relation chaotique avec son compagnon d'alors, où elle coupe les ponts sans regret avec son amant volage. Et sur le gospel puissant de "Life Is So Hard", Eve remercie Dieu de l'avoir rendue si forte et si résiliente.
Certes, quelquefois, la rappeuse renoue avec les agressions, la vie de caniveau et l'esprit de meute des Ruff Ryders, comme sur "Scream Double R", les aboiements de DMX à l'appui, ou sur "Thug in the Street", avec The Lox et Drag-On. Mais de manière révélatrice, ces titres sont parmi les plus faibles sur cet album. Ailleurs, même si ses tentatives pop tombent parfois à l'eau (au coup de génie de "Let Me Blow Ya Mind", répond par exemple la production d'un Dr. Dre en roue libre, sur "That's What It Is"), la Première Dame de la bande devient ici pour quelques temps, ne serait-ce qu'avec ses singles éclatants, la première dame du rap tout court.
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