Buffalo est la nouvelle New-York. Depuis plusieurs années, le son caractéristique de la Grosse Pomme est défendue par une clique plus ou moins familiale (Conway et Westside Gunn sont demi-frères, Benny the Butcher est leur cousin) issue de l'endroit. Ces gens, en vérité, se sont en partie relocalisés à Atlanta, mais leur rap porte encore les couleurs froides et sombres de la seconde ville de l'Etat de New-York, celle qui est située à son autre extrémité, là-bas, tout au Nord, en bordure du Lac Érié et sur la frontière canadienne.
Ils ont réinvesti le boom bap de rue des années 90, ils l'ont réactualisé, suivant l'exemple de Roc Marciano, Ka et consorts. Ils ont vulgarisé leur formule, et ils ont vu leur cote grimper, notamment en 2017 quand leur label Griselda Records a signé un accord de distribution avec le Shady Records d'Eminem, puis que Westside Gunn et Benny the Butcher se sont associés à Roc Nation, deux années plus tard.
Il y a à boire et à manger, chez les gens de Griselda. La trentaine bien sonnée, ils sont parfois desservis par leur passéisme, ainsi que par leur trop grande productivité. Leur ascension, toutefois, n'est pas arrivée par hasard. Pour en comprendre la raison, il faut revenir au début, à une de leurs sorties capitales : la seconde mixtape de Conway the Machine.
C'est en 2015 qu'elle sort, dans la foulée des premiers Hitler Wears Hermes de son frère, un an après la fondation du label, quand Griselda ne peut encore compter que sur ses propres forces, sur son partenaire anglais Daupe! et sur leur parrain Roc Marciano, présent sur le morceau "Rex Ryan".
Le rappeur, alors, revient de loin. Trois ans plus tôt, on a tiré sur Demond Price. Son cou et son épaule ont été touchés. Il en est résulté les cicatrices exhibées sur la pochette, ainsi qu'une séquelle impressionnante : la paralysie d'une moitié de son visage. Ce handicap, cependant, va contribuer à renforcer l'impact de son rap, soulignant son aspect dangereux, ralentissant son débit et rendant sa voix plus pâteuse.
Car c'est bien cela que l'équipe Griselda nous proposera pour de nombreuses années : un rap noir et menaçant. Reject 2, où interviennent les autres membres et proches du collectif (Westside Gunn, Benny, Mach-Hommy), en offre la meilleure expression. Ce n'est pas pour rien qu'ils ont baptisé leur label en référence à une baronne de la drogue, la Colombienne Griselda Blanco, et que sur son premier album, The Devil's Reject, Conway prétend qu'il est le rejet du Diable. Se comparant à Raekwon et Westside Gunn à Ghostface Killah sur "Beloved", il reprend à son compte le rap de mafioso du milieu des années 90. Il en explore les recoins les plus sombres et malfamés, avec des propos menaçants et agressifs, avec des histoires d'armes et de meurtres, sur fond de rivalités de gangs et de gros trafic de drogue.
Pour renforcer cette ambiance lourde et claustrophobique, il peut compter sur Daringer. Le producteur maison de Griselda s'appuie sur la discothèque de son père, un pianiste de jazz, pour dénicher le sample rare. Il multiplie les trouvailles, comme la guitare incisive de "1000 Corpses", piochée chez un obscur Polonais, celle de l'Anglais Alan Tew sur "Sky Joint", les murmures de "Blakk Tape", dégotés quant à eux chez Harold Wheeler, voire les violons et les voix de "Rex Ryan", chipés au compositeur français Michel Colombier.
Avec tous ces sons oubliés, en bon cratedigger à l'ancienne, il assemble une musique sépulcrale et crépusculaire, dont l'aspect sinistre est souligné par ces rires de maniaque et ces onomatopées qui sont la marque de fabrique de Griselda.
Une marque de fabrique qui deviendra bien vite lassante, à vrai dire, et qui, comme une bonne part de la production pléthorique du label, tournera à la formule. Mais à l'époque de Reject 2 au moins, Conway, Daringer et les autres apportent une belle deuxième vie au boom bap d'autrefois.
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