Yo Gotti, c'est comme s'il avait toujours là, quelque part, dans les parages, parmi ces rappeurs indiscutablement notoires, mais jamais tout à fait au haut de l'affiche. Sa carrière chevauche plusieurs décennies, et dans son cheminement, elle est comparable à celle de beaucoup d'autres rappeurs. Mario Mims a commencé par se faire un nom sur la scène régionale de Memphis via une série de mixtapes et d'albums en indépendant. Il a ensuite dégoté un contrat de distribution nationale avec TVT, dont bénéficia tout d'abord son album Life. Puis il a rejoint la major Epic, tout en continuant de développer sa propre boutique CMG, qu'ont intégrée récemment des talents émergents tels que Moneybagg Yo et 42 Dugg. Il a eu quelques singles à succès, en particulier le redoutable "Down in the DM", en 2005. Et aujourd'hui, il est une figure établie qui, l'été dernier encore, avec le concours de Jay-Z, usait de sa célébrité pour poursuivre en justice l'Etat de Mississipi, en raison des conditions de vie déplorables de ses détenus à l'époque du Covid-19. Mais tout ce chemin, Yo Gotti a mis un temps fou à le parcourir, de son adolescence au milieu des années 90, jusqu'à l'époque contemporaine.
Ce fut une carrière longue, une ascension lente, sans temps fort comme en ont connu d'autres rappeurs sudistes, notamment le plus comparable, Young Jeezy, avec qui il avait en partage une voix éraillée, quelques synthés triomphateurs et la pose arrogante du bandit arrivé au bout de sa réussite. Cependant, s'il faut désigner un moment décisif dans ce parcours, celui où son univers s'est étendu, le mal-nommé Back 2 Da Basics est celui-là. C'est avec cet album, le premier depuis sa participation à la fameuse bande originale du film Hustle & Flow, qu'il se retrouva pour la première fois dans les dix premières places du Billboard. C'est avec lui qu'il côtoyait des grands du Sud comme Lil Wayne et Birdman, dont la présence était logique vu qu'il fricotait depuis peu avec Cash Money, mais aussi 8Ball et Bun B, Jazze Pha, sa voisine de Memphis La' Chat, et pour la petite histoire un jeune Allstar, futur Starlito. Côté production, le travail était signé Carlos Broady, natif lui aussi de la ville, mais connu surtout être l'un des Hitmen de Puff Daddy. Et on comptait une intervention de Scott Storch, sur "That’s What They Made it Foe", un invité que, sur le même morceau, Yo Gotti prétendait avoir payé le prix fort.
Fidèle à son pseudonyme, emprunté à John Gotti alors qu’il s'appelait encore Lil Yo, Yo Gotti faisait du gangsta rap, mais à part peut-être sur "Shawty Violating", avec La' Chat, pas nécessairement dans le style barbare et horrifique typique de sa ville de Memphis (pour l'anecdote, il s’attaquait d’emblée à Three 6 Mafia, au détour du morceau introductif). Il s'agissait ici d'une formule plus universelle, sans âge et sans attache particulière, plus proche de la trap music d’Atlanta, plus proche aussi de la musique sautillante de Mannie Fresh et de ce que faisaient depuis toujours ses compères de Cash Money, avec parfois de bons vieux samples à la new-yorkaise, où s’enchainaient les morceaux clinquants remplis de morgue.
Il fallait se déclarer plus gangster que toi ("U A Gangsta Rite?", "I'm A Thug"), prétendre que tout le monde était à tes pieds ("Gangsta Party"), rouler des mécaniques en club ("Shawty") et ne rechigner devant aucun artifice pour marteler le propos, comme les guitares rock sur "Full Time", son morceau pour Hustle & Flow. Il fallait aussi raconter l'histoire d'une famille constamment rattrapée par la criminalité ("We Gonna Be Alright"), parler d'un univers où même les filles s'adonnaient à la tromperie et à la violence ("That’s Not Yo Bitch", "Shawty Violating"), et où l'amour était forcément compromis par des histoires de drogue ("A Part of Thugs"). Il fallait, fort de ce gangsta rap éternel et universel, faire de Back 2 Da Basics un album de major, et une sortie satisfaisante de la part d’un homme qui a gagné sa place dans la fabuleuse histoire du rap sans qu'on n'ait pu clairement lui désigner une grande œuvre.
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