L'avenir appartient souvent aux seconds couteaux. En effet, si l'on doit à un membre méconnu du Flipmode Squad, Roc Marciano, d'avoir donné un futur au classic rap new-yorkais dans les années 2010, ce rôle échut à Sean Price au cours de la décennie précédente. Quand ce dernier se faisait appeler Ruck et que, dans les années 90, il était la moitié du duo Heltah Skeltah, il n'était pas le rappeur le plus éminent de la Côte Est, la concurrence étant rude. Quelques années plus tard, il dut même retourner dans la rue et vendre du crack pour joindre les deux bouts. Cependant, il n'avait pas tout à fait quitté le circuit. Sous son véritable nom cette fois, il apparaissait sur des mixtapes, et il collaborait parfois avec d'autres rappeurs. Et en 2005, quand sortit son premier solo, Monkey Barz, celui-ci fut un succès critique. Tout à coup, avec lui, Sean Price devenait le rappeur le plus en vue du collectif qui l'avait abrité, le Boot Camp Clik.
Annoncé pour l'année suivante, mais sorti début 2007, Jesus Price Supastar capitalisait sur ce succès. Porté par la réputation rénovée de son auteur, fort de la présence de quelques autres briscards newyorkais, comme Buckshot, Steele de Smif-N-Wessun et Rock, son vieux compagnon d'Heltah Skeltah, mais aussi Sadat X de Brand Nubian (venu partager ses propos de Five-Percenter sur "Da God"), il devenait le premier album du Boot Camp Clik classé dans le Billboard depuis les années 90. Il faut dire que Sean Price y était en forme. Il goûtait à sa résurrection, se comparant au Christ dans le titre, voire à Dieu sur "P-Body". Produit pour une bonne part par 9th Wonder et Khrysis de la Justus League, comme celui d'avant, il suivait la même route, celle qui avait replacé Price au cœur du jeu, avec les bons vieux motifs répétitifs du boom bap, et même quelques scratches sur "P-Body".
Toutefois, ce qui comptait sur Jesus Price Supastar n'était pas tant cette musique fonctionnelle, parfois même feignante, que la prose de son acteur principal. Sean Price en mettait plein la vue avec des égo-trips comme l'intro, "King Kong", "You Already Know", "Let it Be Known", "Hearing Aid" et le percutant "One", des diss tracks comme "Like You", "Church" et "Director’s Cut', ou des posse cuts menaçants comme "Cardiac". Il étalait son talent pour les allitérations, comme celles en "p" de "P-Body". Et sur "Stop", il sermonnait son auditeur sur le mode du vieux sage de la rue. Mais quand on écoutait attentivement et qu'on allait au-delà de ses boucles sèches et de ses paroles fières, c'est à un autre Sean Price auquel on avait parfois affaire.
Par-delà les fanfaronnades, on entendait de l'autodérision. C'était de l'ironie, c'était de l'humour, d'autant plus savoureux qu'il était déclamé sur un ton pas facile. Par ailleurs, Sean Price donnait une suite à "Brokest Rapper You Know", l'un des titres les plus mémorables de Monkey Barz, celui où il revenait sur ses galères. Celle-ci était "Mess You Made", un titre final en rupture avec le reste. Le New-Yorkais, en effet, s'y présentait en rappeur raté, condamné par sa condition, tout comme par son éthique du rap, à demeurer confidentiel. Il y faisait preuve de vulnérabilité. Et vulnérable, Sean Price l'était bel et bien, puisqu'il mourra quelques années plus tard, à seulement 43 ans. Pas en superstar, certes, mais en rappeur éminemment respecté.
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