Quand on devient un rappeur important, la coutume veut qu'on se bâtisse un empire, qu'on crée un label rien qu'à soi et qu'on soude toute une équipe autour. Or, important, Rick Ross l'est au début de la décennie 2010, incontestablement. Cinq années après l'historique "Hustlin'", il a démontré qu'il est bien davantage que l'homme d'un seul tube.
Tout récemment, sont sortis les albums Deeper than Rap et Teflon Don, ainsi que les mixtapes Albert Anastasia et Ashes To Ashes, et il a dominé la bande-son de l'été 2010 avec son dévastateur "B.M.F". En 2011, donc, en suite logique à cette apothéose, il donne corps à son nouveau projet, le label Maybach Music, avec l'album collectif Self Made Vol. 1.
C'est alors un étrange attelage qu'il assemble. Rick Ross, en effet, est allé au-delà de son entourage immédiat. Aucun des acolytes qu'il met en avant ne vient de Floride, et pour constituer cette nouvelle écurie, il a privilégié des rappeurs à mixtapes. Pill, à Atlanta, ainsi que le possédé Meek Mill, à Philadelphie, ont utilisé ce créneau pour se faire connaître. Et avant eux, cela a aussi été le cas de Wale, l'ancien espoir du rap de Washington, que le gros rappeur chauve et barbu de Miami récupère après un début de carrière en major avorté.
A ces gens s'ajoutent la chanteuse Teedra Moses, ainsi que Torch et le furieux Gunplay, déjà des protégés de Rick Ross au sein du groupe Triple C's. Et comme si tous ceux-là ne suffisaient pas, de nombreux autres invités viennent épauler la fine équipe Maybach Music, comme Jadakiss, J. Cole, Prince Cyhi, Curren$y, French Montana, Jeremih, les producteurs Cardiak, Just Blaze, Lex Luger, et d'autres encore.
Avec tant d'intervenants, Self Made Vol. 1 est l'assemblage bancal de titres inégaux et éclectiques. Entre l'entrée triomphale de "Self Made" et le conclusif "Running Rebels", qui dégainent tous deux chants féminins et instruments classieux, il y a en effet "Ima Boss", un titre 100% Meek Mill, celui-là même qui a révélé son rap d'affamé, un morceau de Pill dédié au strip club, "Ridin’ On Dat Pole", et ce "Rise" où on s'endort un peu, avec le rap léthargique de Curren$y.
Il y a aussi deux titres déjà connus : "Pandemonium", avec son style scintillant caractéristique de Rick Ross, et "Play Your Part", un morceau récupéré sur Ashes To Ashes, toujours aussi bon (malgré son mot d'ordre misogyne), mais à contre-emploi avec ses chants mélodieux. Et dans la même filière, il y a également le "Don't Let Me Go" de Pill, avec une intervention évidemment remarquable de Gunplay.
Tous ces morceaux ont cependant un point commun. Ils partagent la même ligne directrice en se conformant au Rick Ross de l'année 2010, le plus brutal, celui qui, pour exalter son statut fantasmé de baron de la drogue et pour célébrer sa vie de luxe et de volupté, a troqué sa musique aux ambiances lounge pour les gros coups de burin de Lex Luger. Paradoxalement, le seul titre produit ici par ce dernier, le lent et soyeux "That Way" accompagné par Jeremih, appartient au premier registre. Mais ailleurs, les acteurs de l'album cherchent à répliquer l'efficacité de l'imparable "B.M.F".
Même s'ils sentent le réchauffé, même si la nécessité de laisser chacun s'exprimer les rend souvent trop longs, les titres "Tupac Back", "600 Benz", "Pacman", "By Any Means" et "Fitted Cap", tous enchainés bout à bout, n'en sont pas moins jouissifs, de même que "Big Bank" un peu plus tard.
Pour cette raison même, parce qu'il tire trop sur cette corde, les critiques ont été tièdes à l'égard de Self Made Vol. 1. Mais en vérité, parce que s'y manifeste le Rick Ross énergisé du début de la décennie, parce qu'il est agrémenté aussi d'un Meek Mill et d'un Gunplay au cœur de leurs périodes les plus inspirées, cet album manifeste ne pouvait pas être raté.
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