Cela fait un moment que Kyle Clow, alias Grip, rappe. La vocation de ce trentenaire domicilié à Atlanta remonterait à la grande époque de T.I. Et pourtant, sa première trace discographique ne remonte qu'à la mixtape The Leftover Tape, en 2015. Et c'est en 2017 seulement, avec le projet Porch, puis l'an dernier avec l'album concept et engagé Snubnose (distingué par le vénérable magazine Rolling Stone et remarqué chez nos voisins de L'ABCDR du Son), que sa cote a monté. Forcément, avec un tel parcours, ce n'est pas avec la trap music juvénile pour laquelle sa ville est connue que le rappeur se distingue. Lui, au contraire, il donne dans le concept et dans le sérieux, comme l'indique le titre curieux de son dernier projet, Proboscidea, un EP nommé d'après les proboscidiens, l'ordre animal auxquels appartiennent les éléphants.
Les collaborateurs de Grip sur ce projet confirment que le rappeur évolue aux marges du rap de sa ville. D'un côté on retrouve JID, le protégé de J Cole et membre de Spillage Village, qu'il a accompagné dans sa tournée européenne, et de l'autre Kenny Mason, que l'on connait pour sa fusion entre rap et punk. Sur une boucle de piano trépidante et minimaliste, le trio propose ensemble le morceau central de ce Proboscidea, son plat de résistance, "GRIP 3:16.". Ils y sont tellement à leur aise, ils sont tant sur la même longueur d'onde, délivrant avec le même flow un rap dense et rapide, qu'on jurerait que ce titre est le manifeste d'une nouvelle école.
Produit par Tu!, comme l'autre EP qu'il a sorti en cette année de confinement, Halo, ce projet diffère pourtant autant des projets précédents de Grip, que ces derniers entre eux. Ce qui marque tout d'abord, c'est l'énergie rock qui se dégage de morceaux tels que "Grip", c'est cette guitare qui conclut "Let Em Know", après qu'un synthé nous ait tenu en haleine, c'est ce gros son qui légitime le titre pachydermique du projet. D'autant plus que les six morceaux du projet, compacts, sont condensés sur 13 petites minutes, et que Grip accorde à l'auditeur peu de répit.
Loin des tendances des moments, y compris celles de sa propre ville d'Atlanta, Grip rappe à l'ancienne, sur des samples de rock ou de soul répétitifs. Il se fend même d'un spoken word, sur "Smoove Speaks". Il est un technicien des mots qui joue avec virtuosité d'assonances, d'allitérations et d'un vocabulaire large, un lyriciste qu'on a même comparé à Kendrick Lamar, non sans raison. Il nous inonde de raps adroits et dénués de refrains, où l'on retrouve les thèmes habituels à l'underground, cette pauvreté dont on peine à s'échapper, cette noirceur qui lui fait envisager un destin à la Kurt Cobain, ainsi que ce refus de se compromettre artistiquement, cette fierté à ne pas suivre les rappeurs qui cherchent les contrats ou qui courent après la tendance, même s'il faut se contenter, à trente ans, d'un succès d'estime.
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