La grande œuvre de Justin Clarke, à l'époque où le rappeur grime se faisait encore appeler Ghetto, c'est pour beaucoup Freedom of Speech, en 2008. Mais selon l'intéressé, c'est la sortie d'avant, Ghetto Gospel, qui fut le vrai projet majeur de sa carrière. Pour preuve, il l'a désignée a posteriori comme son premier véritable album. Et son dernier projet officiel, un Ghetto Gospel: The New Testament sorti en 2018, en recyclait le titre. Cette sortie, pourtant, prenait le contrepied de ce que nous avait tout d'abord proposé ce membre du NASTY Crew, proche de Kano. Ce qui était de mise, ce n'était plus tout à fait le style rude et rageur de la mixtape 2000 and Life et du freestyle pour le deuxième volume du DVD Risky Roadz, deux sorties qui, en 2005, avaient révélé celui connu aujourd'hui sous le nom de Ghetts.
Certes, une bonne moitié de l'album était encore faite d'un égo-trip brutal et agressif, d'un rap de branleur qui prenait son pied en bagnole ou à moto ("Driver’s Anthem", "Bikers Anthem"), et elle avait de quoi contenter les puristes du grime. Il en était ainsi du single phare de Ghetto Gospel, le redoutable "Top 3 Selected". Celui-ci était si puissant qu'il était présent en deux exemplaires, le second étant un remix sous forme de posse cut avec Kano et Dirty Goodz, ainsi que Wretch 32, Scorcher et Devlin, les acolytes de Ghetts au sein de son nouveau collectif, The Movement. Toutefois, dès ces morceaux soutenus, Ghetto manifestait des envies d'ailleurs.
Sur "I’m Ghetts", les intonations jamaïcaines de ce Caribéen d'origine étaient normales dans le contexte du grime. Mais avec les sons pop synthétiques scintillants de l'introduction bravache "So Damn Dedicated", avec aussi les riffs de guitare empruntés à Coheed and Cambria sur "Menace", voire le tube "Holding Out for a Hero" de Bonnie Tyler, recyclé sur "Hero", le MC de Plaistow s'échappait des sons électroniques raides et arides habituels, ceux même qu'on entendait encore sur "Stage Show Don", par exemple.
C'est à mi-album que s'opérait le vrai tournant. Avec "CPB", sur le son d'une guitare acoustique, le rappeur jetait un regard désabusé sur le ghetto auquel il devait son nom, inaugurant une longue suite de titres introspectifs, "Just Don’t Know", "State of Mind", "Trapped in the System", "Who Don't", "Test" et plus tard "Blessed with a Gift". Sur les sonorités calmes et mélodiques d'un piano, d'un synthétiseur évanescent, de violons synthétiques, ou avec le chant d'Andrea Clarke, l'Anglais s'y présentait comme un produit de son environnement.
Ailleurs, il devenait même franchement sentimental. Sur un sample accéléré du "You and Me" des O'Jays, "U & Me" célébrait l'amitié, en compagnie de Wretch 32 et de Scorcher. Avec "Relationship", Ghetts dissertait sur son idéal amoureux, avec le renfort du chant R&B de Tension. Et "Closest Thing to Heaven", qui samplait le morceau homonyme très marshmallow de Lionel Richie, était une déclaration d'amour à sa maman.
Ghetto Gospel, c'était son essai crossover, sa tentative de séduction d'un public plus large, avec ce que cela implique de fadeur, de mollesse et de banalités. Certes, tout n'était pas négligeable dans cette phase. Elle comptait par exemple "Understand", une confession sur son amour compliqué pour sa partenaire, qui fonctionnait très bien avec sa voix pitchée et le chant d'Adeola. Mais n'en déplaise au Londonien lui-même, le Ghetts que l'on souhaite avant tout retenir, c'est celui de "Top 3 Selected".
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