Le hyphy de la Bay Area a souvent été présenté comme la réponse californienne au crunk d’Atlanta et de Memphis. My Ghetto Report Card le confirme en quelque sorte, sa musique ayant été conçue, à parts égales, par les producteurs emblématiques de ces deux genres. Aux manettes de ce disque, en effet, s’activent principalement Rick Rock d’un côté, et de l’autre Lil Jon, qui le sort par ailleurs sur son propre label, BME. D’autres grandes figures du hyphy, Keak Da Sneak, The Federation et Turf Talk, y participent aussi. Ce disque toutefois, qui contribue à donner à ce mouvement la résonnance nationale qui lui manquait, c'est toujours le même qui en est l’auteur. C’est encore celui qui, à travers les âges, n'aura jamais cessé d'être le grand porte-voix du rap de la Baie de San Francisco, un indéboulonnable et un toujours vaillant E-40.
Sorti vingt ans après ses débuts dans le rap, My Ghetto Report Card sera même l’un de ses plus grands succès. En dépit de son âge (bientôt la quarantaine) et de son allure rondouillarde, Earl Stevens est donc celui qui va porter la bonne parole, embarquer UGK, Juelz Santana, Mike Jones, 8 Ball et T-Pain dans la ronde, et populariser ce genre dont la vocation première est de faire danser. Avec ce nouvel album, donc, ça bouge sec, ça virevolte, dès le tout premier morceau, "Yay Area", qui sample Digable Planets et parvient à extraire de leur jazz rap suave un gimmick furieux paramétré pour les pistes de danse. Avec le renfort de Keak Da Sneak, il y a aussi la musique sauvage et tribale de ce "Tell Me When to Go" produit par Lil Jon, un véritable hymne pour le mouvement hyphy. Et après encore, se succèdent sans pause une ribambelle de morceaux secs, rythmés et parcourus de rap abrasifs et aboyés, par exemple "Muscle Cars", "Go Hard or Go Home", ainsi que ce "They Might Be Taping" aux sonorités old school.
C'est de la musique hédoniste que nous délivre E-40. Ce sont des odes joyeuses à propos de la danse, des filles, de la baise, de l’argent, de l’alcool et des bagnoles, rehaussées par l’humour légendaire et par l’argot caractéristique ("gouda", tout ça…) du rappeur. Ainsi réaffirme-t-il sa prédominance sur la Baie, la sienne, mais aussi celle de sa tribu, avec B-Legit, Turf Talk (ses cousins) et Droop-E (son fils), qui à 18 ans produit quelques titres, dont l’autocélébration en famille de "Sick Wid It II". C'est un disque riche, touffu, rempli de bons moments, mais aussi mal fichu, et qui se perd en route après la salve de morceaux club très énergiques du début.
Passe encore qu’avec Bosko, E-40 achève l’album avec des morceaux classés X, "Just Fuckin" et le langoureux "Gimme Head". C’est généralement ainsi que se terminent les soirées folles. Mais il s’égare aussi avec des titres ou des interludes superflus. Il se perd dans ses grosses blagues comme cette comparaison cramée entre les filles blanches et la cocaïne, déclamée avec Jadakiss et UGK sur la musique du "Fly Girl" des Boogie Boys. Avec T-Pain et Kandi Girl, il propose un second single, "U and Dat", moins convaincant que le brutal "Tell Me When to Go", avant de relever la barre avec le sombre "I'm Da Man", avec Al Kapone et Mike Jones, un bon titre, mais à contre-courant de l’album, tout comme les épisodes ghetto de "Block Boi" et de "Yee". De même, sur "She Say She Loves Me", le rappeur part soudainement dans un long exposé sur des histoires de couple, et sur le final "Happy to Be Here", il devient très sérieux en brossant un portrait sombre de son environnement. Long, épuisant et déstructuré, perdant de sa saveur juvénile en cours de route, My Ghetto Report Card n'est donc pas un chef d’œuvre. E-40, à vrai dire, n’en a jamais vraiment sorti. Cependant, il fait bien mieux que cela : comme il le démontre une fois encore ici, il ne cesse jamais d’être pertinent. E-40 est toujours actuel.
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