On en avait besoin. En ces temps de déprime, en cette époque où les rappeurs marmonnent, où ils chantonnent, où ils se lamentent, Duke Deuce a décidé de ramener le crunk au goût du jour. En novembre dernier, il a sorti "Crunk Ain't Dead", un morceau dont la vidéo a été vue à plusieurs millions de reprises. Puis en février, avec sa mixtape Memphis Massacre 2, il a livré une version remaniée du même titre, avec rien de moins que Lil Jon, le rappeur emblématique de cette musique du début des années 2000, ainsi que Juicy J et Project Pat, les vétérans de Memphis, véritable berceau du crunk pendant la décennie 90. Dansant, remuant, braillard, sauvage, ce morceau avait toutes les qualités de la bonne musique. Et le mieux dans l'histoire, c'est que cette entreprise revivaliste n'est pas forcément condamnée à être un épiphénomène, vu que le rappeur de Memphis a été pris en main par l'écurie Quality Control Music. Il aurait été repéré par Offset, Cardi B en dit le plus grand bien, et bien sûr, compte-tenu de la force de frappe de son label, les médias spécialisés se sont penchés attentivement sur le personnage.
En vérité, Duke Deuce n'est pas sorti soudainement du chapeau. Patavious Isom est en fait le fils du producteur Duke Nitty, qui a autrefois travaillé pour Gangsta Blac, Nasty Nardo, Dem Thugs et Mobb Lyfe. Il a fait parler de lui dès 2017 et 2018, avec les singles "Whole Lotta" et "Yeh", ainsi qu'avec des chorégraphies qui, reprises par le danseur d'Atlanta SheLovesMeechie, lui ont permis de devenir une figure populaire des réseaux sociaux. Avec ces désormais légendaires pas de danse, avec aussi ces "What the fuuuuuuck!" qui lui servent de signature, c'est tout une personnage qu'a créé le rappeur, au cours des deux ou trois dernières années.
Il a eu aussi l'intelligence de doser son revivalisme, et de ne pas trop tirer sur la corde. Memphis Massacre 2, en effet, est bien plus qu'un projet de crunk. Certes, dès les violons emphatiques de l'introductif "Feel Like It", le début est dans cette veine ; ou plus généralement, dans celle d'un rap scintillant hédoniste et nihiliste. Mais la seconde partie, plus mollassonne, voire plus mélancolique, n'a plus grand-chose à voir, à l'exception de "Crunk Ain’t Dead Mob". L'ambition de Duke Deuce est plus vaste. Au-delà du cas du crunk, c'est à l'ensemble de la scène de Memphis qu'il cherche à rendre hommage, et notamment à son idole, Project Pat. Pour preuve, il en reprend le phrasé saccadé caractéristique, et "Crunk Ain't Dead" est basé sur le son de "If You Ain't from my Hood", un extrait du classique de ce dernier Mista Don't Play.
Duke Deuce multiplie les clins d'œil à la musique d'Hypnotized Minds, il en calque l'extrême misogynie sur "Fat Mac", et son père produit une partie de sa mixtape. Mais il cherche aussi à actualiser tout cela en y incluant les acquis de la trap, en jouant du triplet flow et en invitant quelqu'un qui, comme Lil Yachty, n'est ni de Memphis, ni de sa grande époque. Des morceaux comme "Trap Blues", par exemple, dont le style est exactement ce que le titre annonce, n'aurait pas été possible sans un détour par l'Atlanta de Migos et de PeeWee Longway. Même jugement pour le mélodique "Body". Au bout du compte, Memphis Massacre 2 tire profit de son revivalisme, mais il n'y sombre pas. Il n'est certes pas un chef d'œuvre, mais il montre que Duke Deuce pourrait être un peu plus que le dernier produit marketing de Quality Control.
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