Il y a un rêve, un espoir, qui revient sans cesse à propos de la musique anglaise, quelle qu'elle soit. Celui que soit répétée l'épopée des Beatles et de la British Invasion, ce moment des années 60 où les charts américains se sont retrouvés remplis de Britanniques. Celui que, à nouveau, ils réexpédient à l'envoyeur une musique profondément US, mais cuisinée à leur sauce. Comme en a témoigné le critique et écrivain Simon Reynolds, c'est un phénomène qui s'est répété dans le temps. Mais à l'ère du hip-hop, tout cela est révolu. Comme tous les autres raps européens, celui du Royaume-Uni n'a longtemps été fait que de copieurs plus ou moins talentueux. Et si le pays a fini par avoir son genre de rap à lui, le grime, et que celui-ci a parfois suscité l'intérêt Outre-Atlantique, il ne s'y est pas imposé, et n'a influencé les rappeurs yankees que de manière anecdotique et passagère. Avec la UK drill, toutefois, la donne évolue un peu.
Comme les mouvements susmentionnés, ce genre a pour particularité de venir d'une musique américaine, la drill de Chicago, de l'avoir changée en quelque chose de typiquement anglais (des accents à couper au couteau, de très grosses basses, une rudesse et un rythme soutenu qui lui viennent du grime) et d'influencer les Etats-Unis en retour, la Brooklyn drill de New-York ressemblant davantage à ce cousin britannique qu'au genre auquel elle doit son nom. Certes, tout cela n'a pas encore conquis grand monde en dehors des fans des rap, mais enfin, chez ceux-là, la UK drill figure depuis deux ans au plus haut de l'agenda critique et médiatique.
Tout ce barouf a commencé avec des faits divers, qui ont opéré le lien entre la férocité des paroles et la culture brutale dont, comme à Chicago, comme à Brooklyn, sont issus ces rappeurs qui aiment apparaître masqués, comme pour mieux dissimuler leur identité à la police. Cette dernière, en effet, ne les aime pas. Depuis qu'en 2018, plusieurs acteurs de la UK drill ont été assassinés dans le cadre de règlements de compte, elle en fait la cause de la violence dont elle est la manifestation, et elle cherche à la censurer. Ce qui, bien sûr, n'a fait qu'attiser l'intérêt du public et des médias, et in fine celui de l'industrie du divertissement.
Darren Diggs, est l'un de ceux à qui profite cet intérêt. Connu sous le nom de DigDat, issu de Lewisham en banlieue Sud de Londres, apparu tout d'abord au côté de Headie One (l'une des figures de proue de la UK drill) et devenu populaire en 2018, quand un remix de son morceau "Air Force" est monté haut dans les charts, le rappeur semble avoir rejoint une major. Disponible depuis janvier, son premier album Ei8ht Mile est en tout cas la première sortie de poids de la UK drill, en 2020. DigDat, cependant, se distingue de beaucoup de ses confrères par sa qualité de technicien du rap. Son truc à lui, c'est de jouer avec volubilité d'associations d'idées et de multiples références à la culture populaire, le football notamment. La violence, la drogue, la prison et les filles sont bel et bien là, mais elles sont accessoires, à l'arrière-plan.
Le morceau éponyme de l'album, dont le but est de recréer l'atmosphère du film 8 Mile d'Eminem et de se lancer dans un exercice battle avec le rappeur Aitch, confirme que DigDat est avant tout un lyriciste. Cet habile jeu à deux est réussi, de même, dans une moindre mesure, que celui avec Bookey sur "Ace & Mitch". Le duo, c'est ce qui convient à DigDat. La collaboration avec la tête d'affiche du rap de Detroit, Tee Grizzley, est en demi-teinte, mais les autres, avec Frosty sur "Untitled", Snap Capone sur "100 Shotz", ou le blues de drogué de "New Dior", figurent parmi les temps forts de l'album. Cependant, DigDat sait aussi déclamer d'un seul souffle des solos haletants. C'est le cas avec "No Auto", qui clôt parfaitement cet album comme la UK drill en produit désormais à foison : pas irréprochable, mais très satisfaisant. La hype n'est donc pas sans raison, c'est bel et bien à Londres qu'on trouve le rap qui compte.
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